Critique La Distance

mise en scène Tiago Rodrigues

© Christophe Raynaud de Lage
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La Distance Adama Diop
© Christophe Raynaud de Lage

 

Après le Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues présente au Théâtre de Malakoff, sa dernière création, La Distance, une œuvre singulière, suspendue entre science-fiction et drame intime. En imaginant une relation père-fille séparée par l’espace interplanétaire, le metteur en scène interroge avec acuité les fractures de notre temps : l’exil, l’effondrement écologique, la transmission aux générations futures. Une fable futuriste qui, sous ses airs dystopiques, évoque l’irréductible fragilité des liens humains et l’espoir comme un combat constant.

La Distance : L’amour à l’épreuve de l’espace et du temps

Un père resté sur Terre, une fille partie sur Mars : telle est la ligne de fracture de La Distance, nouvelle création de Tiago Rodrigues. Sous des dehors de science-fiction, la pièce raconte surtout l’intimité la plus universelle : celle d’un lien filial soumis à l’épreuve de l’éloignement. Le futur imaginé, daté de 2077, n’est pas une toile de fond neutre, mais un révélateur de nos angoisses présentes.

Loin de livrer une chronique futuriste, Tiago Rodrigues construit une dystopie intime. Les échanges entre le père et la fille, lettres, messages, confidences suspendues entre deux planètes, révèlent moins un univers technologique que la fragilité des attachements humains. Le théâtre se fait la chambre d’écho d’une question simple : que reste-t-il de l’amour quand la distance séparent deux êtres ?

Cette tension, portée par l’interprétation sensible des deux comédiens (Alison Dechamps, Adama Diop)  ne se limite pas au drame personnel. Elle se charge de résonances collectives. Après un troisième effondrement, la Terre est en péril et la société se trouve soumise aux oligarchies numériques. Désormais, les jeunes générations sont condamnées à choisir l’exil pour survivre. À travers cette fable, une allégorie du présent se dessine. L’incapacité politique à répondre aux urgences, comme les contradictions d’une humanité à la fois créatrice et destructrice sont convoquées sur scène.

La mécanique scénique 

La Distance Tiago Rodrigues

Le dispositif scénographique (Fernando Ribeiro) frappe par sa puissance symbolique. Le plateau circulaire, telle une planète en orbite, se meut. Doté d’une vie propre, il semble s’accorder aux sentiments exaltés sur scène. A l’intensité de l’échange entre le père et la fille répond une accélération de son mouvement. La mécanique scénique épouse la dramaturgie. Sa rotation continue, inexorable, traduit la mesure du temps et le poids de la distance. L’urgence de ce qui se joue entre les personnages s’en trouve renforcée.

Aspirés par le mouvement du plateau, entre équilibre et déséquilibre, Adama Diop et Alison Dechamps, incarnent la séparation autant que la persistance du dialogue. Entre le père sur Terre et la fille sur Mars, un rocher, un large tronc et une branche d’arbre mort font office de frontières. Semblablement à un gigantesque insecte, l’arbre tend ses excroissances asséchées comme un appel à l’aide. Chaque personnage est prisonnier de son espace temps. Ce sont les mots échangés et l’évocation des souvenirs partagés, qui recréent le lien perdu avant l’oubli programmé.

Le spectacle laisse au public une empreinte durable. Et si ?, se dit-on. On sort de la salle comme d’un rêve obsédant. Hantés par ce combat constant pour entretenir l’espoir et bouleversés par l’amour de ce père pour sa fille. La Distance interroge à la fois notre époque, notre avenir, et notre aptitude à aimer malgré les séparations. A la fois politique et poétique, La Distance rappelle que chaque génération ne cesse de parler aux suivantes, qu’elles le veuillent ou non.

La Distance de Tiago Rodrigues réussit à conjuguer la rigueur d’une réflexion politique et la délicatesse d’un drame intime. Le spectacle, porté par deux interprètes d’une grande justesse, se clôt sur une question laissée en suspens :  serons-nous capables de préserver nos liens face aux abîmes que nous creusons ?, sur les accents mélancoliques de la chanson Sonhos (Rêves) de Caetano Veloso.

L’Avis de M La Scène : MMMMM


La Distance

Avec Alison Dechamps, Adama Diop

Texte et mise en scène Tiago Rodrigues
Traduction Thomas Resendes
Traduction pour le surtitrage Daniel Hahn (anglais)
Scénographie Fernando Ribeiro
Costumes José António Tenente
Lumière Rui Monteiro
Musique et son Pedro Costa
Collaboration artistique Sophie Bricaire
Assistanat à la mise en scène André Pato
Stagiaire à la mise en scène Thomas Medioni


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