Critique Le Canard sauvage

mise en scène Thomas Ostermeier

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Le canard sauvage
© Christophe Raynaud de Lage

Treize ans après un Ennemi du peuple incendiaire, Thomas Ostermeier revient au Festival d’Avignon avec Le Canard sauvage d’Ibsen. Le metteur en scène allemand signe un spectacle maîtrisé mais étonnamment sage.

Le Canard peu sauvage 

Treize ans après un Ennemi du peuple fracassant, Thomas Ostermeier revient au Festival d’Avignon avec Le Canard sauvage de Henrik Ibsen. La démarche s’annonce audacieuse. Il s’agit d’adapter cette pièce en demi-teinte, moins frontale que son illustre devancière, en la transplantant dans un monde contemporain désenchanté. Thomas Ostermeier modernise, élague, polit les dialogues, fait vieillir le personnage de Hedvig. Il dynamise la scénographie avec un plateau tournant Un dispositif désormais familier qui accompagne l’avancée du drame. Mais ce retour tant attendu peine à retrouver la radicalité de jadis. Si la mécanique scénique fonctionne, elle ne parvient pourtant pas à faire naître une réelle émotion. Si ce n’est à la toute fin.

Ibsen tisse, par l’implicite et par strates, le terreau psychologique de ses personnages. Thomas Ostermeier semble parfois céder à une lisibilité trop immédiate. L’idée de confronter la vérité absolue (Gregers) aux illusions vitales (Relling) aurait pu vibrer d’une tension contemporaine, notamment à l’aune des débats sur l’honnêteté radicale. Pourtant, l’adaptation appauvrit en partie cette dialectique, simplifiant les enjeux jusqu’à en affaiblir la portée. Le canard blessé, métaphore filée du mensonge nécessaire, devient ici presque décoratif. La forêt symbolique se réduit à quelques sapins décharnés sur l’un des volets du plateau tournant. Le théâtre se replie sur un naturalisme sage, sans grande charge poétique ou formelle, comme si Thomas Ostermeier n’osait plus transgresser les conventions qu’il avait jadis dynamitées. On regrette, en se souvenant par exemple de La Nuit des rois donnée à la Comédie Française, en 2019, qu’il n’y est plus grand chose de sauvage chez ce canard.

Les éclats individuels de l’interprétation

L’interprétation, elle, heureusement sauve la pièce de l’ennui. Portés évidemment par les comédiens de la Schaubühne, les rôles principaux s’ancrent dans une humanité parfois troublante, notamment dans la deuxième partie. Stefan Stern (toujours excellent) dans le rôle d’Hjalmar Ekdal, inventeur raté, embourbé dans ses chimères, parvient à faire vivre la détresse et la violence qui ronge son personnage. David Ruland (Gregers) campe un prêcheur doctrinaire et incarne l’aveuglement du zèle moral. Prédicateur grisé par son idéologie de pacotille, il rompt même le quatrième mur, pour haranguer le public. Moment totalement étonnant tant il secoue la torpeur qui s’était installée. Quant à Marie Burchard, elle interprète une Hedvig, plus âgée mais à la vulnérabilité aiguë. Sa tragédie ne peut que toucher. Pourtant, ces éclats individuels ne suffisent pas à compenser le manque de dynamisme de l’ensemble. Le rythme s’étire. Le théâtre politique d’antan se dissout dans un drame familial trop feutré.

La vraie déchirure du spectacle se tient à cet endroit. Cette œuvre sur le mensonge et la vérité est livrée sans beaucoup d’éclats et de fulgurances scéniques. Thomass Ostermeier retourne à Ibsen mais sans ce qui a pu caractériser son théâtre. On gardera  en mémoire ses mises en scène vives, nerveuses, souvent brutales, plutôt que celle-ci. Le Canard sauvage déçoit quelque peu, se contentant d’illustrer sans  transcender.

En adaptant Le Canard sauvage, Ostermeier revient à Ibsen sans renouer avec la force subversive de ses plus grandes mises en scène. Le résultat, sobre et bien construit, laisse un goût d’inachevé — comme un rendez-vous manqué avec la fureur du théâtre.

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Le Canard sauvage

Festival d’Avignon

d’après Henrik Ibsen

Mise en scène Thomas Ostermeier

Avec Thomas Bading, Marie Burchard, Stephanie Eidt, Marcel Kohler, Magdalena Lermer, Falk Rockstroh, David Ruland, Stefan Stern.
Texte Henrik Ibsen
Adaptation Maja Zade et Thomas Ostermeier.
Traduction Hinrich Schmidt-Henkel
Mise en scène Thomas Ostermeier
Scénographie Magda Willi
Costumes Vanessa Sampaio Borgmann
Musique Sylvain Jacques
Dramaturgie Maja Zade
Lumière Erich Schneider
Traduction surtitrage français Uli Menke
Traduction surtitrage anglais Corrine Hundleby

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