Critique Kaldûn

Mise en scène Abdelwaheb Sefsaf

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Critique Kaldun

Le spectacle musical Kaldûn mis en scène par Abdelwaheb Sefsaf revient sur la déportation des Communards et des insurgés Algériens vers la Nouvelle-Calédonie. Généreux, enlevé et visuellement séduisant, Kaldûn met en lumière notamment, la figure magistrale de Louise Michel, qui, condamnée au bagne sur les terres Kanaks, prit encore la défense des spoliés et des révoltés. 

Ce cœur rouge qui bat

Kaldûn, est un des noms de la Nouvelle-Calédonie. Celui que des Algériens donnèrent à cette terre de déportation. C’est là, après la révolte de Mokrani, initiée en Kabylie, en 1871, que le pouvoir colonial français envoya les insurgés. Le bagne qui les attend, après six mois de traversée dans des cages, est aussi celui que l’on destine aux Communards. Les survivants des massacres de « la semaine sanglante » de mai 1871 y sont également déportés. Louise Michel subit ce sort. Sur l’île, face aux spoliation de leurs terres par l’administration française, la population locale se révolte. En 1878, les Kanaks se soulèvent. A la fin du XIXe siècle, sur « le caillou » , trois groupes de révoltés, issus de trois pays différents, mais partageant la même aspiration à la liberté, se retrouvent. 

Kaldûn, mis en scène par Abdelwaheb Sefsaf, raconte cette rencontre et retrace les grandes étapes de cette histoire terrible et méconnue. L’idée de ce spectacle, dit-il, lui est venue après la lecture d’un livre de Mehdi Lallaoui, Kabyles du Pacifique. Ce passé colonial, source de nombreux traumatismes, dont les répercussions peuvent encore se lire aujourd’hui, le nouveau directeur du CDN de Sartrouville choisit de l’évoquer par le récit, l’image, la musique, le chant et la danse. Les éléments historiques sont narrés mais, les différents tableaux, nourris par l’énergie des acteurs et des musiciens de l’ensemble de musique ancienne Canticum Novum, font battre un cœur commun.

Le Zoo humain

Le spectacle s’ouvre par un « Bienvenue »  projeté sur un rideau rouge. Mais, la double signification de ce mot apparaît bientôt. Il s’agit d’accueillir, à la fois, le spectateur du théâtre qui entre dans la salle, en 2023, comme celui, de l’Exposition Universelle de Paris en 1889, venu découvrir les « spécimens » de l’Empire colonial français.

Le premier tableau présente, en effet, deux cages. Dans chacune d’elles, deux Kanaks, un homme et une femme, priés, sur commande, de danser ou de grogner en montrant les dents. Au centre du plateau, un bateleur (Emmanuel Bardon), aux allures de Monsieur Loyal, face public, présente les indigènes exotiques et forcément féroces. Un panneau suspendu recommande de ne pas leur lancer de nourriture : « Ne pas donner à manger, ils sont nourris » . L’écriteau est véridique, le zoo humain également. Terrible oxymore qui rapproche deux termes antinomiques : le spectacle d’humains exhibés comme des animaux.

Ainsi que le déclare Abdelwaheb Sefsaf qui commente, peu après, en avant-scène, les faits : « Rien, donc, de ce vous avez entendu et allez entendre n’a été inventé. Les mots peut-être, mais pas les faits, le décor, la musique, la mise en scène peut-être aussi et en cela il s’agit bien d’une création théâtrale mais les faits, eux, sont seulement relatés.  » En 1931, lors de l’Exposition coloniale à Paris, les Kanaks seront honteusement exposés, non plus sous la Tour Eiffel,  mais, bien au Jardin d’acclimatation, parmi les animaux.

Une communauté scénique

La mise en scène rigoureuse d’Abdelwaheb Sefsaf s‘appuie sur des éléments forts de décor. Mouvantes, les structures au gré des tableaux se modifient. Elles deviennent des cages, les murs d’une ville en Kabylie, ceux de Fort de Quélern, prison avant la déportation des insurgés ou la cale d’un bateau. Pourtant, l’ensemble ne souffre pas d’être statique, grâce notamment au travail sur la verticalité. Les éléments du décor s’animent par la présence des acteurs à différents étages créant, ainsi, des saynètes dans la scène, et une mobilité interne. 

Théâtre, danse et musique se mêlent. Les huit comédiens de la Compagnie Nomade in France et les sept musiciens de l’ensemble Canticum Novum, musique aux accents parfois de l’Europe de l’est, construisent une vraie communauté scénique. L’actrice Lauryne Lopès de Pina accompagne dans la danse le slameur kanak Simanë Wenethem. Le metteur en scène, et tous les artistes, chantent, tandis que le nyckelharpa, le kaval, le ney, le kanun et les percussions habitent avec puissance et énergie l’espace sonore.

Ils n’ont pas tué le verbe

Les trajectoires de nombreux personnages historiques se croisent. Aziz El Haddad, engagé aux côtés d’El Mokrani dans la révolte anti-coloniale française, partage le sort des communards. Parmi eux, la figure de Louise Michel, (magistralement interprétée par Johanna Nizard) se dresse. En terre de déportation, la révolutionnaire, prend la défense des Kanaks lors des révoltes de 1878. Elle sympathise notamment avec Ataï, le chef de l’insurrection, tué et décapité par l’un des siens.

Sur le plateau, le crâne du guerrier, restitué au peuple Kanak seulement en 2014, devient une structure gigantesque et mouvante. C’est à ses pieds, que Louise Michel (Johanna Nizard) berce le cadavre de celui qui a donné sa vie pour la liberté de son pays. « Ils ont versé la poison dans ta gorge » . « Ils ont tué le verbe. » dit-elle. Pourtant, la beauté de la dernière image et la poésie de l’ensemble, permet au théâtre et à la musique de prolonger la vie et l’espoir.


Kaldûn, mis en scène par Abdelwaheb Sefsaf, est un spectacle généreux qui donne à voir une humanité libre et forte.

 

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Kaldûn

Théâtre de Sartrouville

Du 29/11 au 2/12

 

texte et mise en scène ABDELWAHEB SEFSAF
création NOMADE IN FRANCE, CANTICUM NOVUM

avec Fodil Assoul, Laurent Guitton, Lauryne Lopès de Pina, Jean-Baptiste Morrone, Johanna Nizard, Malik Richeux, Abdelwaheb Sefsaf, Simanë Wenethem
et Canticum Novum Emmanuel Bardon, Henri-Charles Caget, Spyridon Halaris, Léa Maquart, Artyom Minasyan, Aliocha Regnard, Gülay Hacer Toruk

assistanat à la mise en scène Jeanne Béziers
dramaturgie Marion Guerrero
composition musicale Aligator (A. Sefsaf / G. Baux)
direction musicale Georges Baux
arrangements et adaptation musicale Henri-Charles Caget
scénographie Souad Sefsaf
costumes Emmanuelle Thomas
assistée de Mélodie BarbeIsaure Lecœur
création du crâne Florian Poulin
lumière Alexandre Juzdzewski
vidéo Raphaëlle Bruyas
son Jérôme Riol

Le livre de Mehdi Lallaoui, Kabyles du Pacifique, est publié aux EDITIONS ALTERNATIVES   


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