23 rue Couperin:
Les Ailes coupées
Tout commence par une destruction. Réelle et à venir. Celle d’une barre d’HLM d’Amiens, « le Pigeonnier », huit bâtiments de dix étages de cent mètres de long amenés à disparaître en 2019. Le spectacle s’ouvre sur cette démolition symbolique. Celle du « 23 rue Couperin ». De hautes constructions en kapla sur le plateau s’effondrent avec fracas et avec elles, se volatilisent les lieux de l’enfance du metteur en scène, Karim Bel Kacem.
Cette destruction s’accompagne d’un univers visuel et sonore agressif. Explosions rougeoyantes, fumigènes, cris, sommations, sirènes, les émeutes de la cité résonnent douloureusement. Sur ce no man’s land apocalyptique où retentissent des brides de discours officiels, erre un homme à la tête de pigeon, désemparé. La métaphore est claire – trop claire ?- le pigeonnier a été dynamité et avec lui un lieu de vie, d’enfance, de souvenirs. Comment faire pour continuer à voler quand on vous coupe les ailes ? Séparé de soi-même, comment continuer à se construire? Où se poser?
Comme pour le confirmer, le spectacle se clôt sur le poème de T.S Eliot « Les Hommes creux » (The Hollow men), dit par le comédien Fahmi Guerbâa « Nous sommes les hommes creux / Les hommes empaillés/ Cherchant appui ensemble/ La caboche pleine de bourre. Hélas !… »
Une scénographie inaboutie
Conçu comme un drame en trois actes, 23 rue Couperin, n’arrive pas à s’affirmer comme un tout. La scénographie inaboutie dessert l’ensemble qui ne parvient pas à trouver sa cohérence.
La destruction en première partie s’étire en errance. Dans la seconde, « la parole est à la musique ». Le pianiste Alain Franco et l’Ensemble Ictus interviennent en avant-scène et interprètent une composition inspirée des musiciens dont les noms ornaient les rues de la cité, Brahms, Mozart, Couperin, Ravel, Franck. Leur prestation est parfaitement maîtrisée mais, apparaît comme plaquée. Les sur-titres « Ils passent de Ravel à Couperin » en accentuent l’artifice.
Le troisième acte est finalement le plus intense. Fahmi Guerbâa trace une trajectoire rectiligne du fond de scène vers nous en reprenant des brides de paroles de l’acte I, morceaux de discours, débris d’échanges, ordres lancés, plainte lancinante d’un adolescent réclamant 50 euros à sa mère. Dans sa voix se bousculent toutes les voix comme si celles-ci voulaient se faire entendre avant de disparaître. Et nous parvient le cri de la désespérance et celui de la souffrance.
Il est dommage que le spectacle « 23 rue Couperin » de Karim Bel Kacem présenté au Théâtre de l’Athénée n’ait pas été assez abouti car la démarche personnelle et intime intéresse.
http://www.athenee-theatre.com/saison/spectacles.htm