
Musée Duras, de Julien Gosselin, le nouveau directeur de l’Odéon, s’apparente à un manifeste et s’impose comme un objet théâtral singulier. Dix heures pour traverser une œuvre, éprouver un plateau, mesurer la force d’une génération de jeunes acteurs époustouflants. Une expérience étonnante et stimulante.
Musée Duras : la scène comme laboratoire vivant
Musée Duras. Le titre peut prêter à confusion. Pourtant, il ne s’agit aucunement d’une entreprise muséale, voire hagiographique, de l’oeuvre de Marguerite Duras. Julien Gosselin, dans sa nouvelle création, engage la promotion sortante du CNSAD dans un voyage de dix heures à travers l’œuvre multiple de l’autrice. Le spectacle, éclaté en onze formes scéniques, refuse la rétrospective figée. Tous ces fragments, cependant, mettent en tension le désir, l’amour, l’absence et la mort. Thématiques intenses qui ne cessent d’irriguer le travail de la créatrice d’India song ou de Détruire dit-elle.
Le dispositif bi-frontal choisi par Julien Gosselin place dès le début le public dans un espace mouvant. Dès l’entrée, le spectateur est amené à suivre les injonctions répétitives d’une voix enregistrée et à s’allonger sur le sol. Ainsi, dans la lumière tamisée et cendreuse de l’ouverture, peut-on voir un tableau vivant se construire. Le tapis de sol devient, dès lors, un champ d’images, une forme cadrée mais vivante, en mouvement, au même titre que les écrans qui surplombent le plateau et projettent des mots ou titres d’œuvres en majuscules. SAVANNAH BAY. L’AMANT. SA-DEC. MEKONG. DÉSIR…
Le « musée » est donc en perpétuelle métamorphose. Sans début, ni fin. Animé par le jeu, ou les caméras qui livrent des images partielles ou fluides de ce qui se vit sur scène. Travellings, gros plans, bâtissent séquences et tableaux. Les textes se frottent au plateau et s’incarnent dans un corps à corps souvent dépouillé. La force du spectacle tient à une proximité revendiquée. Le public frôle, enveloppe, accompagne les interprètes, devient acteur du moment par sa présence. Julien Gosselin met en lumière la fragilité, le risque de l’instant. Dans l’espace nu et mobile, la langue de Duras se dote d’une matérialité surprenante. Le plateau devient un sorte de laboratoire d’apparitions.

Le Ravissement de la promotion CNSAD
Ce qui frappe néanmoins dépasse la mise en scène. On assiste, enthousiastes, à la naissance d’une génération d’acteurs. Leur engagement est total. Leur écoute, aiguë. Certains crèvent littéralement l’espace ou l’écran. On pense à Lucile Rose, qui capte le regard quoi qu’elle fasse. A Rita Benmannana qui soutient au plus près du public le texte de La Maladie de la mort. Elle porte les mots adressés à celle qui se trouve face à elle avec une intensité rare. Un grand moment. A Alice Da Luz Gomes, animale, fragile et digne, qui fait vivre l’enfant de quinze ans, à Saïgon, dans les bras du « Chinois ». Louis Pencréac’h, immobile, dans la pénombre, laissant entendre la réalité sans fard de La Douleur. Il faudrait citer également Yanis Doinel et Violette Grimaud dans l’extrait d’Hiroshima mon amour. Et d’autres encore.
Ces jeunes comédiens filment, jouent, manipulent à vue les éléments du décor. La mécanique scénique devient un geste partagé. Parfois, il semble que le metteur en scène s’efface pour laisser à tous la liberté de se saisir des mots de Marguerite Duras pour qu’ils puissent en réactiver, par leur jeunesse, la vigueur. Julien Gosselin offre ainsi à ces jeunes comédiens un terrain d’expériences où chacun trouve une place, un risque, une vérité.
Bien sûr, tout n’est pas réussi et des longueurs existent. En dix heures de spectacle, on peut le comprendre. Néanmoins, on peut s’interroger sur la nécessité de mettre à nouveau en scène la performance de Joseph Beuys Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort. Le principe de répétition tombe à plat et ne présente pas beaucoup d’intérêt. De même, l’extrait de L’Amante anglaise. Le début fonctionne dans le caisson de verre, mais la reconstitution du tribunal écrase la subtilité du texte. A cet endroit, les accusateurs bien trop virulents font basculer la scène dans un réalisme étroit. Le souvenir de la mise en scène passionnante d’Émilie Charriot s’impose en contrepoint.
Musée Duras, de Julien Gosselin installe un terrain mouvant, brut, où les mots de Marguerite Duras circulent sans filet. Les jeunes interprètes déjouent les attentes. Ils déplacent et réorientent le regard. Inventent une manière d’être là, physique et généreuse. Leur précision et leur liberté étonnent et emportent l’adhésion.
Les M de M La Scène : MMMMM
Musée Duras
d’après
Marguerite Duras
mise en scène et scénographie
Julien Gosselin
Distribution
Avec des élèves de la promotion 2025 du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris Mélodie Adda, Rita Benmannana, Juliette Cahon, Alice Da Luz Gomes, Yanis Doinel, Jules Finn, Violette Grimaud, Atefa Hesari, Jeanne Louis-Calixte, Yoann Thibaut Mathias, Clara Pacini, Louis Pencréac’h, Lucile Rose, Founémoussou Sissoko
et la participation de Denis Eyriey, Guillaume Bachelé
dramaturgie
Eddy D’aranjo
régie vidéo
Raphaël Oriol, Baudouin Rencurel
collaboration à la vidéo
Pierre Martin Oriol
musique
Guillaume Bachelé, Maxence Vandevelde
lumière
Nicolas Joubert
collaboration à la scénographie
Lisetta Buccellato
costumes
Valérie Montagu
collaboration au son
Julien Feryn
assistanat à la mise en scène, surtitrage
Alice de la Bouillerie
production
Odéon Théâtre de l’Europe, Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, Si vous pouviez lécher mon coeur