Critique Sur l’autre rive

mise en scène Cyril Teste

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sur l'autre rive Cyril Teste
© Simon Gosselin

Echo flamboyant à La Mouette qu’il avait précédemment montée, Cyril Teste met en scène Sur l’Autre rive, librement adapté de Platonov, l’oeuvre de jeunesse de Tchekhov. Au coeur d’une fête étincelante de vivacité, la caméra traque les fêlures de l’âme. 

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D’une rive à l’autre

Tchekhov place sa pièce dans une petite bourgade du sud de la Russie. Micha Platonov est l’ami d’Anna Pétrovna, une jeune veuve, dont la propriété est sur le point d’être vendue pour régler les dettes de son mari décédé. Cet instituteur était promis à un avenir brillant mais n’a pas réalisé les ambitions que lui et son entourage lui prêtaient. Anti-héros éponyme, Platonov cherche à attirer les regards. Il provoque des scandales, séduit, se laisse courtiser, trompe son épouse. Micha se dévoile progressivement comme un miroir impitoyable, révélant à chacun la réalité de son image. Il explore son propre néant tout en forçant les autres à faire face à leur propre vacuité. « Je ne voulais faire de mal à personne et j’en ai fait à tout le monde.» dit-il.

Cyril Teste déplace l’argument. Pour cela, il se saisit d’un court dialogue entre Arkadina et Sorine à l’acte I de La Mouette qu’il avait précédemment montée,  « La soirée est divine. Ecoutez, c’est la fête ! / Oui enfin sur l’autre rive surtout.  » En parallèle au fiasco de la pièce de Treplev, une fête se déroule de l’autre côté du lac. Sur l’autre rive apparait donc comme un écho joyeux à ce que vivent les personnages dans la propriété du vieux Sorine.

Mais, à la présence omnisciente de la mère dans La Mouette répond, en miroir, l’absence des pères dans celle-ci. Cyril Teste indique que ce qui est beau dans l’œuvre de Platonov, ce sont « ces fils, ces hommes, qui ne font rien de l’absence d’héritage. Et qui, bien au contraire, ne permettent pas qu’une nouvelle société agisse. Notamment vers le matriarcat, pour le coup.  » D’une rive à l’autre, la même incapacité pervertit les personnages. Ils ne savent échapper au poids du passé, ne peuvent déconstruire les modèles anciens pour inventer quelque chose de nouveau.

Une fête étincelante

Filmée par deux cadreurs, presque en plans séquence, et par un caméscope tenu par Mathias Labelle, la fête que l’on nous donne à voir est étincelante de vivacité. Ça danse, ça chante, ça boit, ça virevolte, ça déborde d’énergie. Deux longues tables rectangulaires nappées de blanc structurent l’espace qui reste totalement ouvert. C’est autour de ces éléments forts du décor que tout un ballet de déplacements s’organise. Celui des serveurs qui disposent les plats, approvisionnent en boisson et celui des invités qui vont et viennent. La musique live ponctue la fête. Florent Dupuis, guitare électrique en main, campé sur une petite estrade carrée en fond de scène, insuffle une dynamique rock à l’ensemble.

Au coeur de la fête et du mouvement chorégraphique des corps, la caméra isole des duos, des trios. Elle traque l’émotion les visages. Elle donne à voir en gros plans, sur un large écran suspendu au-dessus du plateau, les fêlures de l’âme et le poids des non-dits. Certains visages crèvent l’écran, ceux d’Émilie Incerti Formentini ou d’Olivia Corsini, notamment. Mais, chacun des comédiens (Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang), imprime de sa présence les moments filmés arrachés au flux de la représentation.

Filmer et célébrer le théâtre

Les scènes d’intimité capturées par l’objectif sont souvent imaginées comme un hors-champ qui ne serait pas visible sans l’oeil de la caméra. Elles sont saisies, soit au coeur de la gaieté affichée par tous, soit à la frontière du plateau, éclairées par les guirlandes lumineuses qui en ornent les murs. Avec une virtuosité impressionnante, au sein d’une foule compacte toujours mouvante, se révèle l’intériorité tourmentée des personnages. Cette assemblée se nourrit de la présence de nombreux spectateurs, conviés sur scène et à la soirée. Par une mise en abîme théâtrale adroite et multiple, Micha qui « nexiste que par la théâtralité »  ainsi que le définit Cyril Teste, est placé sous un  quadruple regard. Celui de la caméra, celui des personnages, celui du public invité sur scène, et celui des spectateurs assis dans la salle.

Le dernier « acte » célèbre la beauté du théâtre. Cyril Teste dit, avec une pointe d’humour, avoir eu envie de voir s’il pouvait se défaire de « ses propres addictions » pour exercer un récit. Il avait « le sentiment que dans la dernière partie, il y avait quelque chose de Shakespearien, où la caméra n’avait plus sa place.  » De ce fait, après un épisode quelque peu burlesque, le plateau se vide. Les comédiens, comme les personnes qui avaient été conviées sur scène, prennent place sur deux petits gradins à cour et à jardin. Ne restent que Sacha (Haini Wang) et Micha (Vincent Berger). La dernière image bouleverse. La femme tire douloureusement le corps de l’homme qu’elle vient de tuer, hors d’un cercle de lumière, hors du théâtre, hors du regard. Et dans le silence de la nuit, éclairée par une multitude de bougies au sol, s’élève doucement, le chant des criquets.

 

Sur l’autre rive, mis en scène par Cyril Teste confirme la profonde modernité de Tchekhov. Le spectacle réaffirme, par son énergie et la performance filmique qu’il propose, la nécessité viscérale qu’il y a, à se saisir de l’héritage du passé, pour le déconstruire, afin d’inventer des formes nouvelles. Ce que réussissent parfaitement Cyril Teste et le collectif MxM.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Les entretiens de M La Scène : Cyril Teste

Sur l’autre rive

Théâtre des Amandiers Nanterre

mise en scène Cyril Teste

• librement adapté de Platonov d’Anton Tchekhov

• traduction Olivier Cadiot • adaptation Joanne Delachair et Cyril Teste

• avec Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang

• collaboration artistique Marion Pellissier

• assistanat à la mise en scène Sylvère Santin

• stagiaires mise en scène Manon Garnier, Matthias Dian Siriczman

• dramaturgie Leila Adham

• scénographie Valérie Grall

 costumes Isabelle Deffin assistée de Noé Quilichini

• création lumière Julien Boizard

• création vidéo Mehdi Toutain-Lopez  images originales Nicolas Doremus et Christophe Gaultier

  musique originale Nihil Bordures, Florent Dupuis et Haini Wang

 son Thibault Lamy • stagiaire son Hortense Gavriloff

• direction technique Julien Boizard

• cadreurs-opérateurs Marine Cerles, Nicolas Doremus, Christophe Gaultier, Mathias Labelle

. Collectif MxM


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