Critique Sentinelles

mise en scène Jean-François Sivadier

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Sentinelles, écrit, mis en scène et scénographié par Jean-François Sivadier fait dialoguer avec énergie trois pianistes. Une façon d’affronter trois conceptions de l’art. Le trio fiévreux de comédiens, Vincent Guédon, Julien Romelard et Samy Zerrouki, emporte l’adhésion. Voir l’interview de Jean-François Sivadier pour M La Scène .

Les arpèges de la passion

Trois jeunes pianistes deviennent au fil des ans des amis inséparables. Leur complicité n’exclut pas la controverse et la joute verbale. Car, chacun d’eux possède une histoire toute personnelle, qui le relie à l’instrument qui a bouleversé leur vie. La rencontre avec le piano, c’est, disent-ils, le jour où ils sont « nés » . Tout remonte à l’enfance. Pour l’un, c’est la vision d’une femme et d’un Steinway blanc. Pour l’autre, c’est l’accompagnement d’un film muet avec son père. Enfin, pour le dernier, c’est l’oeil jaloux de sa mère qui se détourne de lui, alors qu’il joue, à six ans, sans partition, devant les invités d’un ambassadeur.

Sentinelles écrit et mis en scène par Jean-François Sivadier s’inspire du roman Naufragé de Thomas Bernhard.  Le metteur en scène dit avoir « pris cette image des trois et avoir réinventé, avec les acteurs, tout un nouveau monde, des nouveaux personnages et une nouvelle histoire.  » Le roman de Bernhard plaçait en son centre, la figure iconique de Glenn Gould. L’interprète légendaire des Variations Goldberg de Bach, par sa maestria, décourageait deux autres virtuoses à poursuivre leur carrière. L’un s’était-il suicidé à cause de cela ?

Même si, au coeur de Sentinelles se détache le personnage de Mathis, interprète hors norme. Sur scène, c’est avant tout la connivence, parfois orageuse, mais passionnée, autour de leur art qui réunit les trois artistes. Le prestigieux Concours International Tchaikovsky, tenté à Moscou par les trois pianistes, sera le point de rupture. A l’issue des résultats, de façon assez mystérieuse, le trio explose.

Le théâtre en question

Sur le plateau, pas de piano. La scénographie imaginée par Jean-François Sivadier privilégie la sobriété. Trois chaises en bois, une petite table pliante aux pieds de métal, deux toiles tendues qui deviendront écrans, constituent le décor où l’action prend place. Les éclairages sont à vue. Grande rampe au sol au début. Rangées de latéraux qui encadrent la scène. Même si l’on parle de musique, le théâtre, par son ancrage visuel, rappelle qu’il est aussi interrogé à travers les discussions conduites par les comédiens.

Pour Jean-François Sivadier, « Le spectacle parle beaucoup de théâtre. La musique est un masque » . A travers les échanges des personnages, en creux, les acteurs, comme le metteur en scène, évoquent les questions qui concernent leur art. Recherche de la beauté ou de l’émotion, quête d’une nécessité, mise en question de la séduction, exploration vers une liberté émancipatrice, sont autant de sujets qui animent les joutes verbales et traversent tout acte de création.

A ce titre, le public devient le quatrième protagoniste de l’histoire. « Cette discussion, sans fin, qui pourrait durer toute une vie entre ces trois personnes, on a voulu qu’elle contamine aussi le public » indique Jean-François Sivadier. Salle éclairée, l’un des acteurs, s’adresse aux spectateurs : Bach ou Mozart ? La Truite ou le Boléro ? Et Pourquoi ? Qui aurait dit le Boléro ? Stromae ou Orelsan ? Remous et rires dans la salle. La polémique reprend sur scène. Passionnée. Virulente. Autour de Mozart que l’un défend et qu’un autre personnage rejette. Mozart, c’est l’enfance ! ,  clame Raphaël. Mozart, c’est du sucre ! répond Mathis.  Le ton monte jusqu’à ce qu’une chaise soit lancée avec violence. L’importance est dans l’engagement et dans ce que le dialogue fait naître.

Le corps comme instrument

S’il n’y a pas de piano sur scène, la musicalité se déploie dans les prises de paroles. Chacun des comédiens soutient le rythme de sa partition par un phrasé intense, soutenu et vibrant. Vincent Guédon, Julien Romelard, Samy Zerrouki forme un trio fiévreux qui s’accorde parfaitement.

Vincent Guédon, encore une fois, montre l’étendue de son talent. Qu’il incarne Sganarelle ( Dom Juan), un préfet cynique ( Un ennemi du peuple), ou l’exigeant virtuose Mathis, la force de sa présence ne se dément pas. Julien Romelard campe un pianiste pour qui l’art ne peut être qu’engagé. Frontal dans ses prises de positions, ses interactions avec le public sont facétieuses. Quant à Samy Zerrouki, il défend son personnage idéaliste avec une sincérité tout à fait convaincante. 

C’est par le corps que les trois comédiens rendent palpables les différentes interprétations d’un morceau de piano. La dernière partie du spectacle consacré au concours est la plus réussie. Baignée par les belles lumières de Jean-Jacques Beaudouin, les trois virtuoses dansent chacune de leur partition musicale. Les doigts se tendent, les bras s’arrondissent, les dos s’arc-boutent, les corps se jettent dans l’espace nimbé de poussière. L’engagement est total tandis que s’élèvent des musiques de Schubert, Chopin ou Rachmaninov.


Dans Sentinelles de Jean-François Sivadier, Vincent Guédon, Julien Romelard, Samy Zerrouki égrènent les arpèges de la passion. ♥♥♥♥♡


LES INTERVIEWS DE M LA SCÈNE : JEAN-FRANÇOIS SIVADIER


Sentinelles      Théâtre 71, Malakoff scène nationale

texte, mise en scène et scénographie Jean-François Sivadier,

avec Vincent Guédon, Julien Romelard, Samy Zerrouki,

assistant à la mise en scène Rachid Zanouda,son Jean-Louis Imbert,

lumières Jean-Jacques Beaudouin,

costumes Virginie Gervaise,

regard chorégraphique Johanne Saunier,

crédit photo Jean-Louis Fernandez


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