LM MM Lorenzaccio de Musset mise en scène Catherine Marnas
Bouffon et tragique
Au Théâtre de l’Aquarium, Catherine Marnas monte Lorenzaccio, le drame foisonnant de Musset et renoue avec l’idéal romantique qu’Hugo réclamait dans la préface de Cromwell, une alliance constante entre bouffonnerie et tragique. La scène est à Florence, celle des Médicis, mais elle s’ouvre au son d’une guitare rock sur une orgie tapageuse d’Alexandre où Lorenzo, mignon du tyran, coiffé d’une perruque peroxydée, vante gaiement les bienfaits de le débauche. Déguisements sacrilèges, musiques agressives, confettis rouges et or, scènes lubriques mimées en fond de scène derrière un rideau transparent, l’accent est mis sur l’outrance.
Pourtant le tragique transpire derrière l’artificiel de la joie. Au cœur des liesses surfaites, l’offense est au bout des lèvres et chacun des protagonistes porte un masque au propre comme au figuré. Le duc, bâtard cynique, pervertit les tendres jeunes filles tandis qu’il reste sourd à la colère du peuple. Les conspirateurs s’offusquent sans qu’aucun ne semble vouloir agir pour mettre fin au régime corrompu. Même le noble Philippe Strozzi, malgré ses grands discours, ne peut se résoudre à l’action et pleure bientôt son fils emprisonné et sa fille innocente assassinée.
« La vilaine cuisine »
Reste Lorenzaccio, bouffon perverti, corrupteur, lâche, incapable, dit-il, de porter une épée, mais qui fut un lettré et un idéaliste. Héros malgré lui, Lorenzaccio se présente face aux mensonges des hommes et revendique par le meurtre du tyran l’aspiration à un monde nouveau sans y croire. Pour incarner, le jeune homme que le scepticisme dévore, Catherine Marnas a choisi Julien Sagot, qui relève le défi avec fougue. « Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre? » : la confession ardente de l’acte III est dite dans toute sa complexité. Face à lui, Franck Manzoni est toujours juste, qu’il campe le grossier Giomo ou le sage Strozzi.
Les huit comédiens portent la pièce dont l’intrigue a été resserrée jusqu’au ricanement final. Car, une fois le crime de Lorenzo accompli, le pouvoir enfante d’un nouveau Médicis, clone du prédécesseur, et assassine le libérateur. La mise en scène de Catherine Marnas illustre ce désenchantement et questionne le politique. Le même acteur (Julien Duval) assure les deux rôles et reprend le même micro sous les mêmes paillettes qui ouvraient la pièce. Le monde n’est-il comme le lançait Lorenzo et Musset qu’une « vilaine cuisine »? Un roman de Sartre s’intitulait La Nausée, nous n’en sommes pas loin.
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