La Seconde surprise de l’amour
mise en scène Alain Françon
Lumineuse, La Seconde surprise de l’amour mise en scène par Alain Françon, aux Ateliers Berthier, fait résonner les mots de Marivaux dans tout leur éclat. Coup de cœur de ce début de saison théâtrale pour M La Scène ! ( Voir l’interview de Georgia Scalliet et Pierre-François Garel )
A la lumière du coeur
La Seconde surprise de l’amour, c’est l’histoire de deux coeurs qui se croyaient inconsolables. La pièce s’ouvre sur les soupirs de la Marquise. Elle est en deuil. Son mari, qu’elle aimait tendrement, est mort au bout d’un mois de vie commune. Depuis, elle se néglige et se complaît dans une solitude que seules quelques lectures austères viennent rompre. Pour elle : « Il n’y a plus de consolation. » Quant au Chevalier, son voisin, il s’apprête à se retirer au fond de ses terres, le coeur brisé. La jeune femme qu’il chérissait s’est enfermée à jamais dans un couvent pour échapper au mariage forcé ourdi par son père.
Pourtant, à leur plus grande surprise, la douleur va les rapprocher. Les deux âmes engourdies par le chagrin et la perte vont découvrir que leur coeur peut s’ouvrir encore à d’autres sentiments, notamment à ce qu’ils nomment « l’amitié » . Le doute, l’inquiétude, le dépit, la jalousie, se mêlent bientôt à leurs échanges. Jusqu’à ce qu’ils comprennent que sous l’amitié se cache l’amour. « Je ne croyais pas l’amitié si dangereuse » avoue la jeune veuve. Le précepteur pédant, Hortensius et le Comte, l’autre prétendant, sont alors congédiés. Tout finit par un double mariage, celui de la Marquise et du Chevalier, et celui des valets, Lisette et Lubin qui ont oeuvré ensemble au rapprochement de leurs maîtres.
La réussite du travail d’Alain Françon sur le texte de Marivaux est de révéler combien, pour les personnages, les mots et le langage portent la lumière des coeurs. Il semble que la Marquise ( Georgia Scalliet) et le Chevalier ( Pierre-François Garel) soient toujours surpris par ce qu’ils disent. Comme si le sentiment, sans noirceur, avec l’élan du naturel, venait saisir celui ou celle qui parle de façon imprévisible.
Piano et forté
Six acteurs portent le texte (Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet). Tous étonnants de justesse. Pour quatre d’entre eux, le compagnonnage auprès d’Alain Françon a commencé depuis plusieurs années. Pierre-François Garel indique ainsi que la spécificité du travail d’Alain Françon « est qu’il s’appuie particulièrement sur le texte, qu’il regarde le texte comme une partition, forcément singulière. Je ne l’ai jamais vu travailler un texte de la même manière. Si ce n’est, sur cette recherche de précision, de valeur, rythmique, des phrases, des adresses, et des valeurs de mots. Cette fois encore, pour cette répétition de Marivaux, il a été question de savoir où résonnait le plus chacune des répliques, chaque mot, pris l’un après l’autre et formant des phrases. »
La partition millimétrée se joue piano et forté mais les nuances de l’interprétation ne s’appuient en aucune manière sur ce qui serait des justifications psychologiques. Seule la musicalité est travaillée pour éveiller dans l’instant une possible surprise du comédien. Georgia Scalliet précise que « lorsque l’on va à une certaine vitesse, le sens apparaît beaucoup plus. Alain Françon est beaucoup plus intéressé par ce que cela va nous amener en tant qu’acteurs, de l’ordre de l’inconscient. Par exemple, le « forté » ne va pas se faire à l’endroit logique. L’émotion, si elle vient, ne vient pas à l’endroit logique. On est pris par le flot du poème. Il faut plus se faire rattraper par le poème qu’attraper le poème. »
La comédie
De ce possible vacillement des attentes naît aussi pour le spectateur le sentiment d’entendre une musique nouvelle. Celle du texte de Marivaux, où chaque mot ciselé résonne, où chaque respiration, chaque suspension, paraît prendre sens.
Le potentiel comique de certaines situations n’en est que plus renforcé. Car, on rit beaucoup de ces êtres qui parlent et déploient une énergie surprenante à ne pas voir la vérité. Le travail avec la chorégraphe Caroline Marcadé rend perceptible notamment les changements que les personnages se cachent. Cette dichotomie entre ce qui est dit et ce que le corps révèle est profondément comique. C’est un véritable bonheur de voir Georgia Scalliet et Pierre-François Garel se laisser surprendre par leurs émotions.
A leurs côtés, Suzanne De Baecque campe le personnage de Lisette avec une autorité facétieuse. Thomas Blanchard a toute la bonhomie joyeuse de Lubin. Ensemble, ils forment un couple réjouissant de valets rusés et redoutables. La scène où ils congédient Hortensius (Rodolphe Congé), en jetant ses livres sur un drap, à même le sol, est interprétée avec une désinvolture qui n’en est que plus cruelle. La comédie n’épargne pas ceux qui ont perdu au jeu de l’amour.
La Seconde surprise de l’amour, mise en scène par Alain Françon, est un petit bijou. Dans son écrin délicat, la pièce de Marivaux, se découvre et séduit comme si on l’entendait pour la première fois. Une expérience précieuse.
Aux Ateliers Berthier, à ne pas rater. ♥♥♥♥♥
La Seconde surprise de l’amour
texte Marivaux
Mise en scène Alain Françon
avec Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet
dramaturgie/assistant à la mise en scène David Tuaillon
scénographie Jacques Gabel
lumière Joël Hourbeigt
costumes Marie La Rocca
musique Marie-Jeanne Séréro
chorégraphie Caroline Marcadé
coiffures/maquillages Judith Scotto
son Léonard Françon, Pierre Bodeux
Intéressés par une autre critique de M La Scène concernant un spectacle de l’Odéon ? Celle-ci pourrait vous plaire : Critique Les Frères Karamazov mise en scène Sylvain Creuzevault
La Seconde surprise de l’amour
texte Marivaux
Mise en scène Alain Françon
avec Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet
dramaturgie/assistant à la mise en scène David Tuaillon
scénographie Jacques Gabel
lumière Joël Hourbeigt
costumes Marie La Rocca
musique Marie-Jeanne Séréro
chorégraphie Caroline Marcadé
coiffures/maquillages Judith Scotto
son Léonard Françon, Pierre Bodeux
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