Festen: L’ Œil démultiplié
Festen, c’est d’abord un film. Danois. En 1998, Thomas Vinterberg le réalise à partir d’un scénario de Morgens Rukov. L’histoire d’un aveu fracassant lâché dans une famille de la haute bourgeoisie figée dans ses dénis. Un fils profite de la fête des soixante ans de son père pour déballer devant les convives les abus incestueux que le père lui a imposés ainsi qu’à sa sœur. Filmé selon des règles du Dogme, caméra à l’épaule, afin de saisir le réel qui émane de l’instant, la déflagration de l’aveu était restituée sans effets, sans pathos, au plus près d’un naturel désarmant et choquant.
Aux Ateliers Berthiers, Cyril Teste adapte l’oeuvre de Thomas Vinterberg en s’appuyant sur l’adaptation théâtrale de Bo Hr. Hansen et l’adaptation française de Daniel Benoin. Il brouille les frontières entre ce que l’on voit et ce que l’on croit voir. Le scénario est respecté mais sur le plateau, le modèle est transcendé. Par la vidéo, l’œil est démultiplié. Le vocabulaire cinématographique, hors champ, plan moyen, gros plan, très gros plan, travelling, est convoqué pour suivre les acteurs dans leurs retranchements les plus intimes. La caméra traque les faux semblants, donne à voir les tourments de l’aveu qui se libère. Elle suit les couloirs, s’infiltre derrière les murs, explore le décor mouvant, les visages, et réinvente le paysage intérieur des personnages. L’œil du spectateur est sans cesse sollicité.
Créative, envoûtante, la mise en scène de Cyril Teste est scéniquement magnifique. L’intérieur et l’extérieur sont travaillés à toutes les étapes du processus théâtral (scénographie mouvante ( Valérie Grall) , ombre et lumière (Julien Boizard), prises de vues directes et enregistrées (Mehdi Toutain-Lopez ou Claire Roygnan), odeurs prosaïques du repas ou parfum de Linda (Olivier Théron/ Fabien Joly). Toujours pour cerner les implications souterraines du huis-clos familial où le non-dit est mis à mal par la parole du fils.
Festen: Laisser Eurydice et sortir des enfers
Christian s’oppose à son père, qui l’a violé, au nom de Linda, sa sœur jumelle morte. Celle-ci s’est suicidée et continue de le hanter. Si Christian affronte avec violence le monde en représentation, (son père perverti, sa mère qui savait, et la bonne société qui ne veut pas savoir), c’est avant tout pour se libérer du fantôme de sa sœur. Révéler la vérité, l’horreur, l’hypocrisie, lui permettra de la laisser partir, comme Eurydice, apaisée, enfin. Et d’envisager un avenir où l’amour aurait à nouveau sa place.
Mathias Labelle incarne ce fils qui se rebelle. Le rôle est imposant. Sans repos, la caméra s’attache à lui, à son visage, à chacune de ses expressions. Mais, malgré cette traque impudique, l’acteur parvient à garder secrètes et explosives les décisions du personnage. Une performance. Face à lui, Hervé Blanc, campe un père séducteur et terrible. Jusqu’à la scène du châtiment. On ne dira jamais assez combien la nudité, lorsqu’elle se justifie, amplifie le sens d’une scène. L’image du corps paternel, maintenant vulnérable, à la blancheur vieillissante, livré à la brutalité du frère aîné, est saisissante.
Festen mis en scène par Cyril Teste est une réussite.
http://www.theatre-odeon.eu/fr
Autre spectacle à L’Odéon: Les Trois soeurs par Simon Stone
Berthier 17e 24 novembre – 22 décembre 2017 /
Festen de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov, adaptation théâtrale Bo Hr. Hansen
mise en scène Cyril Teste
avec Estelle André, Vincent Berger, Hervé Blanc, Sandy Boizard ou Marion Pellissier, Sophie Cattani, Bénédicte Guilbert, Mathias Labelle, Danièle Léon, Xavier Maly, Lou Martin-Fernet, Ludovic Molière, Catherine Morlot, Anthony Paliotti, Pierre Timaitre, Gérald Weingand et la participation de Laureline Le Bris-Cep