Critique Welfare

mise en scène Julie Deliquet

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Welfare Julie Deliquet

La Cour d’honneur du Palais des papes est chargée de bien des attentes. Welfare, de la jeune metteuse en scène Julie Deliquet, s’y lance avec toute sa générosité, mais l’immensité du lieu dévore, hélas, la belle énergie déployée sur scène par les quinze comédiens. 

Après le spectacle, les entretiens de M La Scène : Julie Deliquet

Une tragédie du quotidien

A l’origine, Welfare est un documentaire du cinéaste américain, Frédérick Wiseman. Tourné au début des années 70, à New York, le film retrace une journée dans un centre d’aide social. Frédéric Wiseman a toujours pensé qu’il y avait du théâtre dans ses films, notamment dans Welfare. Le montage oriente forcément le récit et le réel. Il met en valeur certains dialogues, déplace des prises de parole et construit une dramaturgie  Le metteur en scène, féru de théâtre, connaissait le travail de Julie Deliquet,  à partir d’oeuvres de cinéma. On se souvient notamment de l’adaptation envoûtante du film d’Arnaud Desplechin, Un conte de Noël. C’est donc à sa demande, que Julie Deliquet, la nouvelle directrice du TGP de Saint-Denis, a été amenée à travailler cette matière cinématographique et humaine.

Pour Julie Deliquet, il est important de rappeler qu’elle re-transforme une matière déjà transformée, qu’elle la « réincarne » . Le mot « réincarnation »  est primordial. Ainsi qu’elle l’explique :  » On porte leurs voix mais on n’imite pas leurs visages. On n’a pas du tout voulu faire une imitation du quotidien, qui nous aurait paru absurde et impossible, Vu la fragilité et le grand besoin dans lesquels ils sont. En revanche, les mots qu’ils posent, de façon citoyenne, des mots de survie, des mots d’action, sont les paroles qu’on souhaite porter dans un nouveau corps, dans une nouvelle dramaturgie, et dans un nouveau lieu » .

Ainsi, la Cour d’honneur devient-elle cet endroit où une tragédie du quotidien, sans cesse renouvelée, prend place. En un lieu, en une journée, une même action se joue. La rencontre de deux logiques souvent incompatibles. Celle des travailleurs sociaux, volontaires, garants des deniers de l’État, malgré tout prisonniers d’une logique comptable. Et celle des demandeurs, des sans-abris, qui n’ont plus rien ou si peu, captifs d’une logique de survie.

« A hauteur d’hommes et de femmes « 

Quand les spectateurs entrent et s’installent, ils découvrent le plateau, envahi de tentes blanches. Ces petits chapiteaux évoquent, à tous ceux qui veulent s’en souvenir, les centres d’hébergement spécialisé de dépistage du Covid destinés à accueillir des personnes malades du COVID, mais ne nécessitant pas d’hospitalisation. Munies de lits de camp, ces tentes immaculées, collées entre elles, ménageaient un semblant d’intimité par des rideaux. Elles permettaient aux personnes sans abri de disposer d’un lieu médicalisé et sécurisé pour traverser la crise sanitaire. Les conditions liées aux mesures barrières ainsi qu’à l’hygiène y étaient respectées.

Welfare commence par le démontage de ces tentes. Reste un espace vide, incongru, immense. Un gymnase. Troisième fonction pour ce lieu dédié au sport. Après un centre d’hébergement d’urgence, il devient un bureau d’aide sociale. Deux époques se font écho, à ce moment sur scène, le présent proche, vécu lors du confinement en France, en 2020 et le passé, par le retour sur le système de santé et d’aide social aux Etats Unis, en 1973 .

Julie Deliquet a choisi de ne pas actualiser la situation. La scène est à New York, déplacée dans un grand gymnase. Dans ce vaste endroit, tout le matériel sportif a été remisé contre les murs ou aux extrémités de la pièce. A cour, un petit gradin permet aux demandeurs d’aide sociale de guetter le moment où ils seront enfin appelés. Parfois, ils errent sur le plateau, longeant les murs, attendant d’être mis dans la lumière. Chacun à leur tour, ils prennent la parole pour se faire. entendre. Cette parole intime, fiévreuse,  « A hauteur d’hommes et de femmes. Jamais plus haut que cela »  telle que la définit Julie Deliquet est une parole de survie. « Ils n’ont rien à perdre et tout à sauver »  précise la metteuse en scène.

« Un monde trop grand pour eux »

Sur le vaste plateau de la Cour d’honneur, quinze comédiens déploient cette parole de survie avec une énergie prégnante. L’urgence se perçoit et s’entend. A quoi tient alors que cela ne passe pas la rampe ? La mise en scène de Julie Deliquet privilégie la distance. Entre les différents personnages, pas de proximité. Chacun d’entre eux, travailleurs sociaux ou hommes et femmes en litige ou en fin de droit, semble écrasés par le lieu qui les dévore.

Julie Deliquet dit avoir eu « envie d’un monde trop grand pour eux, comme la Cour d’honneur était trop grande pour nous. »  La distance était un enjeu. « Comme dans un concours, face à un jury, le corps mobilisé, quasi sportif, va devoir faire taper les mots, prendre la parole, par l’effort, devoir assumer son langage, avec toute sa spécificité et toute sa  singularité. C’était une manière d’incarner la différence, mais vraiment pleinement, c’est-à-dire, je vais sortir du groupe, je vais devoir affirmer ce que je suis »  . Et ce, dans un lieu absolument pas adapté à cette prise de parole.

Si l’on comprend l’idée qui sous-tend les choix opérés, on ne peut que déplorer que le public, par cet écrasement des personnages, soit tenu lui aussi à distance. Les prises de parole qui se succèdent, la violence même qui se dégage de certains affrontements, ne parviennent pas à construire une proximité avec le spectateur, malgré le grand engagement des acteurs.


Nul doute que Welfare, mis en scène par Julie Deliquet, ce spectacle généreux, porté par des comédiens à la belle énergie, ne trouve sa pleine mesure dans un théâtre aux dimensions plus modestes, tout simplement à échelle d’homme.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Welfare

France / Création au Festival d’Avignon 2023

Avec Julie André, Astrid Bayiha, Éric Charon, Salif Cisse, Aleksandra de Cizancourt, Évelyne Didi, Olivier Faliez, Vincent Garanger, Zakariya Gouram, Nama Keita, Mexianu Medenou, Marie Payen, Agnès Ramy, David Seigneur
et Thibault Perriard (musicien)
D’après le film de Frederick Wiseman
Traduction Marie-Pierre Duhamel Muller
Mise en scène Julie Deliquet

Adaptation scénique Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos
Collaboration artistique Anne Barbot, Pascale Fournier
Scénographie Julie Deliquet, Zoé Pautet
Lumière Vyara Stefanova
Musique Thibault Perriard
Costumes Julie Scobeltzine
Marionnette Carole Allemand
Assistanat aux costumes Marion Duvinage
Habillage Nelly Geyres
Décors François Sallé, Bertrand Sombsthay, Wilfrid Dulouart, Frédéric Gillmann, Anouk Savoy – Ateliers du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis


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