Critique Les Forces vives

mise en scène Camille Dagen

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Critique les forces vives
© Simon Gosselin

A l’Odéon, les Mémoires de Simone de Beauvoir servent de matière à la dernière création de la compagnie Animal Architecte, Les Forces vives. Ponctué de trouvailles efficaces mais éparses, le spectacle souffre de passages déclamatoires qui alourdissent l’ensemble. Figure majeure de la littérature et des luttes féministes du XXe siècle, l’image de Simone de Beauvoir s’en trouve diffractée. 

Une vivacité forcée

S’il ne s’agit pas d’un biopic, Les Forces vives, mis en scène par Camille Dagen, décrit néanmoins la trajectoire de Simone de Beauvoir. Se saisissant des écrits autobiographiques ou politiques de la philosophe, la compagnie Anima Architecte dresse, de l’enfance à la vieillesse, le parcours de l’écrivaine vers la liberté.

Ainsi, retrouve-t-on, dans une première partie, l’évocation de ses premières années dans une famille bourgeoise catholique, sa passion pour les études tout en souffrant des contraintes imposées aux filles, son rejet de la foi religieuse, ses amitiés marquantes, ses premiers émois littéraires, comme sa quête précoce d’émancipation. « Demain j’allais trahir ma classe et déjà je reniais mon sexe. »  écrit-elle dans Mémoires d’une jeune fille rangée.

Après l’entracte, le spectacle, Les Forces vives, met l’accent sur l’engagement politique de Simone de Beauvoir. Sont mises en exergue, les réactions réactionnaires des journalistes ou écrivains de l’époque à la publication du Deuxième sexe, la rencontre avec Sartre et les intellectuels liés à l’Existentialisme, l’engagement du couple contre la guerre d’Algérie.

A chaque étape, il semble que la vivacité soit forcée. L’adresse public se fait souvent harangue. L’évocation de l’enfance de Simone de Beauvoir commence, dans le noir, par les hurlements colériques de la petite fille, bientôt enfermée « dans le cabinet noir, entre des balais et des plumeaux » . Mais, le cri s’installe, hélas, comme arme de jeu.

Scénographie et parole juste

La scénographie imaginée par Emma Depoid agit efficacement et lie les deux parties. Des éléments de décor mouvants ne cessent d’être maniés pour redessiner les espaces. De nombreux vantaux, évidés de leurs vitres, suggèrent ainsi les portes et fenêtres de l’appartement familial. Ils construisent visuellement l’enfermement moral et religieux vécu par la jeune fille. Dans une scène d’affrontement, ils emprisonnent Simone que ses parents tentent de contraindre. Corsetée par les sangles qui doivent brider sa poitrine, Marie Depoorter qui incarne alors Simone de Beauvoir, n’en paraît que plus captive.

A un autre moment, les structures matérialisent les boxes des accusés lors du « procès Jeanson » . Sartre fut l’un des témoins appelés à la barre par la défense. Le réseau soutenait les agents du FLN en métropole en assurant la collecte de fonds et la fourniture de faux papiers, indispensables aux opérations clandestines. Elles deviennent également la « cage » de Maurice Patin. Le président de la commission chargée d’étudier les exactions commises en Algérie y est mis en accusation. L’homme politique, interprété par deux comédiens ( Romain Gy et Achille Reggiani)  doit répondre de son jugement sur Djamila Boupacha, violée et torturée par des militaires français.

Au fur et à mesure que le personnage de Simone de Beauvoir avance en âge, le décor se dénude. Les rideaux blancs suspendus tombent au sol. Les vantaux, ornés d’appliques bourgeoises allumées, se déplacent à la périphérie du plateau. Dans un geste symbolique un peu trop appuyé, une actrice éteint l’une d’entre elles.

Le spectacle se clôt heureusement sur la voix de Sarah Chaumette. Seule en scène, la comédienne donne à entendre magnifiquement les mots de Simone de Beauvoir face à l’acceptation de la fin de vie. Tout en nuance, sans artifice, Sarah Chaumette révèle en creux que vociférer n’est pas nécessaire pour être entendue. On regrettera néanmoins l’image des cheveux lâchés, en écho au tout début du spectacle, trop évidente.

Les Forces vives créé par Animal Architecte est à n’en pas douter un projet audacieux mais l’inégalité de la proposition scénique échoue à rendre compte de l’irréductible complexité de Simone de Beauvoir.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

 

Les Forces vives

Odéon-Théâtre de l’Europe   Berthier 17e

29 novembre – 20 décembre

dans le cadre du Festival d’Automne 2024

d’après Simone de Beauvoir 
une création de Animal Architecte 
conception, écriture, mise en scène Camille Dagen
en collaboration avec Emma Depoid

avec Sarah Chaumette, Camille Dagen, Marie Depoorter, Romain Gy, Hélène Morelli, Achille Reggiani, Nina Villanova

scénographie, costumes Emma Depoid
dramaturgie Rachel de Dardel
collaboration artistique en jeu Lucile Delzenne
lumière Sebian Falk-Lemarchand
compositeur Kaspar Tainturier-Fink
vidéo et cadre Typhaine Steiner
perruques Kuno Schlegelmilch
conception dispositif technique Édith Biscaro

d’après Le Deuxième Sexe, Cahiers de jeunesse, Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge et La Force des choses (tomes 1 et 2) de Simone de Beauvoir © Éditions Gallimard

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