Critique L’Enfant brûlé

Mise en scène Noëmie Ksicova

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L'enfant brûlé
(c) Jean-Louis Fernandez

Aux Ateliers Berthier, Noëmie Ksicova adapte librement le roman L’Enfant brûlé de Stig Dagerman et livre une partition sensible, nourrie de mélancolie et de sourde violence (Voir l’interview vidéo de Noëmie Ksicova, en bas d’article, réalisée par M La Scène aux  Ateliers Berthier – Théâtre de l’Odéon).

Les braises souterraines du chagrin

Stig Dagerman a vingt-cinq ans lorsqu’il écrit L’Enfant brûlé. Il en a trente et lorsqu’il se suicide. L’Enfant brûlé est son avant-dernier roman. L’oeuvre s’ouvre sur l’enterrement de la mère que personne ne semble vraiment regretter à part Bengt, son fils âgé de vingt ans. Celui-ci s’enferme dans son chagrin. Il nourrit peu à peu une rancoeur face à son père qu’il dit détester. Celui-ci, en effet, a décidé de faire entrer sa maîtresse, Gun, dans le foyer familial et projette de l’épouser. 

Bengt a une fiancée, Bérit, qu’il maltraite et n’hésite pas à violenter. Mais, le jeune homme, taraudé par le souvenir perdu de la présence maternelle, n’hésite pas à la retrouver dans les bras de Gun, la seconde épouse de son père. La quête de la mère absente l’habite tout entier. Une liaison quasi incestueuse lui permet de retrouver cette chaleur perdue. Aucune honte ne le traverse car il dit être pur. « Être pur, c’est ressentir en soi un feu auquel ne résiste aucun doute, aucune lâcheté, aucun scrupule. On est entier et fort. On va droit au but sans hésiter. On devient aussi courageux. Être pur c’est pouvoir tout sacrifier excepté ce pour quoi on vit : je m’y suis préparé, et je n’ai aucune raison d’avoir honte. »

L’Enfant brûlé aspire à cette pureté mais, chaque frustration le conduit au pire, contre lui-même comme contre les autres. L’histoire sombre, oppressante de Bengt renoue avec celle des héros frappés par le tragique. Le jeune homme, conduit comme par des forces qui le dépassent, est consumé par le chagrin et le ressentiment. Tel Œpide, il s’aveugle, mais, sans pouvoir cependant accéder à la lumière salvatrice de sa vérité.

Le temps des petites choses

Noëmie Kiscova adapte librement le texte de Stig Dagerman mais sa mise en scène chirurgicale en restitue l’oppressante réalité. Les déplacements des acteurs, chacun de leurs gestes, le calibrage des silences, laissent se déployer un temps où les  petites choses prennent sens. Soutenue par la belle scénographie d’Anouk Dell’Aiera, la mise en scène donne à voir le huis-clos mortifère dans lequel les quatre personnages évoluent. 

Le décor, manié à vue dans la semi-pénombre, se transforme, ménageant quatre actes dans la représentation. Dans un premier temps, l’appartement familial dresse les murs de l’enfermement qui contraint ceux qui y vivent. Construit comme une boîte rectangulaire surélevée au-dessus du plateau, le lieu de vie se concentre autour d’une table carrée en formica et de quatre chaises. Deux pans de murs à cour et à jardin limitent la vue sur le reste de l’appartement. La chambre du père se devine parfois en transparence. Celle de Bengt, le fils, dissimulée derrière une porte, n’offre pas d’accès visuel au spectateur.

Cet environnement étriqué éclate lorsque les personnages, invités par Gun, se déplacent dans une île aux beaux jours. Le décor pivote alors et s’ouvre au lointain laissant apparaître les berges d’un lac où les acteurs se baignent. Le point de vue bascule. Au premier plan, on découvre le paysage à travers l’ouverture du cabanon d’été. Encore une fois, la scénographie fait sens. Ce que l’on voit, ce qu’on nous laisse voir, n’est qu’une partie de la réalité. Une vision tronquée de ce qui se joue entre les personnages, leurs mensonges et leurs non-dits. Néanmoins, pour souligner cette parenthèse fugace de joie et de liberté, Noëmie Ksicova, très justement, ôte les micros des acteurs. Comme s’il s’offrait à eux, pour une fois, la possibilité de parler vrai.

De la matière cinématographique

Noëmie Ksicova excelle dans l’approche cinématographique du plateau. Aux cadres du décor répondent les différents plans de la scène. Les acteurs, eux-mêmes sous le regard des autres, s’inscrivent souvent dans un cadre rigoureux, visuellement signifiant. Le hors-champ comme les voix-off participent à cette matière cinématographique. Tout comme le travail auditif qui concourt à donner une épaisseur sonore et sensorielle à certaines scènes. Ainsi, le déplacement du père titubant en avant-scène, sur le chemin caillouteux, amplifié par le micro, acquiert une densité tout à fait saisissante. Comme la mort du chien qui ne nous parvient que par ses gémissements.

La violence, même si elle est souvent suggérée, notamment pas le son, est néanmoins présente. Le premier viol de Bérit nous parvient par la voix de l’actrice (Lumîr Brabant) mais, le deuxième, sur scène, n’est pas éludé. Le « cut » au noir en soustrait juste la durée au regard. Le voyeurisme est exclu mais la réalité de l’agression existe. Les « cut » , très cinématographiques, rythment d’ailleurs le spectacle.   

La direction d’acteurs propose une partition sensible, nourrie de mélancolie et de sourde violence. Théo Oliveira Machado qui incarne le personnage déviant de Bengt, semble doté de vulnérabilité infantile et de froide cruauté. Face à lui, Lumîr Brabant (Bérit) apporte une fraîcheur touchante, chargée de blessures secrètes. Quant à Vincent Dissez qui interprète Knut, le père, il surprend encore une fois par la subtilité de son jeu. Sa maladresse à contenir la folie de son fils et à lui témoigner ouvertement son amour se conjugue avec un aspiration au bonheur émouvante. Son aveuglement n’en est que plus tragique.

L’Enfant brûlé, librement adapté du roman de Stig Dagerman, par Noëmie Ksicova, est un spectacle, en demi-teinte, captivant et parfaitement maîtrisé.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Après la représentation... les entretiens de M LA SCÈNE : NOËMIE KSICOVA

L’Enfant brûlé

27 février – 17 mars

Odéon Théâtre de l’Europe (Berthier 17e)

d’après le roman de Stig Dagerman
mise en scène Noëmie Ksicova

avec Lumîr Brabant (Bérit)
Vincent Dissez (Knut)
Théo Oliveira Machado (Bengt)
Cécile Péricone (Gun)
et le chien Mésa

adaptation Noëmie Ksicova
scénographie Anouk Dell’Aiera
lumière Nathalie Perrier
composition musicale, création sonore Bruno Maman
son, collaboration à la création sonore Mélissa Jouvin
costumes Caroline Tavernier
dramaturgie Aurélien Patouillard
traduction Élisabeth Backlund
dressage, accompagnatrice du chien Victorine Reinewald
assistant à la mise en scène Antoine Hirel
collaborateurs Jean-Philippe Bocquet, Marine Mussillon, Carole Willemot


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