Critique Le Silence et la peur

mise en scène David Geselson

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Au Théâtre de la Bastille, David Geselson reprend Le Silence et la peur. Le spectacle, dédié à la pianiste et chanteuse noire américaine Nina Simone, met notamment en lumière son engagement sans faille pour les droits civiques aux Etats-Unis. Voir l’interview vidéo de David Geselson réalisée par M La Scène.

Nina Simone : Une femme debout

A quatre ans, celle qui s’appelait encore Eunice Kathleen Waymon devient la pianiste attitrée de l’église méthodiste dont ses parents sont membres. L’enfant surdouée n’a jamais pris de cours. Muriel Mazzanovich, une professeure de piano d’origine anglaise, la prend bientôt sous son aile. Eunice travaille Bach, Debussy. Elle forge le rêve d’entrer dans une école prestigieuse afin de devenir la première pianiste classique noire d’Amérique. Le rejet de sa candidature la bouleverse. Sa couleur de peau n’était pas la bonne.

Pour gagner sa vie, Eunice Waymon doit accepter de jouer du piano et de chanter dans un club de Jazz à Atlantic City. Afin de s’émanciper de sa famille, elle choisit un pseudonyme : Nina Simone. Niña, petite en espagnol et Simone, en référence à l’actrice française Simone Signoret, que la jeune femme avait vue dans « Casque d’or »  de Jacques Becker. My Baby Just Cares For Me lui apporte le succès et la célébrité. Mais, sa voix s’élève aussi puissamment pour la défense des droits civiques aux Etats-Unis. Ses chansons, ses textes engagés dénoncent le racisme, la ségrégation, et militent pour la justice sociale. Plusieurs états du Sud des Etats-Unis interdiront Missisipi Goddam.

Le Silence et la peur de David Geselson met en lumière ce combat de Nina Simone dont on ne mesure souvent pas l’importance. Ainsi, comme le rappelle le metteur en scène: « Aux Etats-Unis, pour la communauté afro-américaine, Nina Simone est une icône pour la lutte et l’obtention des droits civiques des Afro-Américains dans les années soixante. C’est une chanteuse. C’est une icône féministe, engagée, extrêmement forte. Et nous, on est un peu ignorants de ça.   »

David Geselson dresse le portrait d’une femme debout. Il inscrit également son parcours de vie dans l’Histoire sanglante des Etats-Unis. Celle de « la conquête meurtrière du Nouveau Continent par les différents empires occidentaux à partir du XVe siècle. Et ce faisant, celle, d’une partie de l’histoire des Afro-Américains dont les tragiques destinées sont étroitement liées à la conquête du Nouveau Monde ».

Briser le silence. Conjurer sa peur.

Le titre du spectacle, Le Silence et la peur, n’est pas tiré d’une chanson de Nina Simone. Ce titre bâtit un pont sensible entre un épisode intime de la vie de David Geselson et la vie de Nina Simone.

Le metteur en scène raconte que son père a été victime d’un accident. Lorsqu’il était sorti du semi-coma dans lequel il était plongé, celui-ci avait eu une crise de panique. Son père s’était remémoré un épisode terrible vécu dans son enfance où on l’avait obligé à se taire. « Il avait un souvenir très aigu de la terreur, d’une scène cauchemardesque de son enfance et il était obligé de taire sa peur. Il disait, dans ce moment de souffrance, qu’il n’y avait rien eu de pire pour lui que d’être condamné au silence alors que la seule chose qu’il voulait c’était de hurler. Mais, s’il hurlait dans son cauchemar, alors on allait le découvrir et on allait le tuer » .

David Geselson explique que quatre ans après, lorsqu’il a commencé à travailler sur le projet, l’épisode lui est revenu en mémoire. Pour lui : « Il y avait cela dans la vie de Nina Simone et dans toutes celles des populations opprimées, qui ont été victimes de colonialisme, de racisme ou d’antisémitisme. A un moment donné, elles sont condamnées au silence par une majorité quelle qu’elle soit. »  Il s’agissait en quelque sorte d’une double peine : être opprimé et devoir se taire. Mais ajoute-t-il : « Nina Simone fait l’inverse, elle tente de conjurer la peur et elle prend la parole.  » La vie de Nina Simone est l’illustration que l’on cesse d’avoir peur quand on prend la parole.

La parole de Nina Simone est donc au centre du spectacle. Les époques se télescopent l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte. Mais, à chaque fois, c’est une voix rebelle, révoltée, qui s’élève. Une parole qui se forge contre les injustices.

« Je suis un cygne noir »

Sur scène, David Geselson choisit de faire dialoguer des comédiens noirs américains et des comédiens blancs français. La parole circule de réplique en réplique, de l’anglais au français, comme s’il s’agissait d’une même langue. Dee Beasnael, née au Ghana de parents tchadiens et élevée au Texas, incarne Nina Simone. L’actrice fait résonner avec puissance la révolte qui animait la pianiste et chanteuse ainsi que ses aspirations à la liberté. Kim Sullivan, né en Caroline du Nord, apporte à la figure paternelle une grande humanité. A leurs côtés,  Laure Mathis et Elios Noël interprètent le couple qui prend sous son aile, Eunice Waymon, l’enfant à l’oreille absolue. Elios Noël accompagne parfois certaines scènes de morceaux de piano.

Depuis son premier spectacle, En route Kaddish, David Geselson fait appel à des images d’archives. Ici, sur des panneaux mouvants, on projette des extraits de discours de Malcom X, du pasteur Martin Luther King, des images de lutte ou de répression, ou celle d’une croix en feu du Ku Klux Klan. Le décor sonore créé par Loïc Le Roux accompagne, comme une pulsation, ce déchaînement de violence. La séquence est forte. David Geselson dit être ému « de retrouver des images d’archives de notre histoire commune »  et qu’  « au théâtre, ramener de la mémoire puisse encore faire vibrer notre présent »

« Je suis la Reine du Nil »  , « Je suis un cygne noir » , entre ces deux phrases toute une vie de lutte nous est racontée.  On regrettera juste que certaines scènes s’étirent trop, notamment vers la fin. L’ensemble perd alors la vivacité du début et souffre d’être parfois trop statique.


Dans Le Silence et la peur de David Geselson, la figure de Nina Simone se dresse en majesté, notamment, grâce à l’interprétation lumineuse de Dee Beasnael.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Le Silence et la peur

Théâtre de la Bastille
16 > 27 MARS

Texte et mise en scène David Geselson

Spectacle en français et en anglais, surtitré en français

Avec Dee Beasnael, Jared McNeill, Elios Noël, Kim Sullivan et Laure Mathis en alternance avec Marina Keltchewsky qui jouera les 20, 21 et 22 

Assistants à la mise en scène Shady Nafar (création), Julien Fisera (tournée)

Scénographie Lisa Navarro  Assistante scénographie Margaux Nessi

Lumières Jérémie Papin (création) Assistante lumières Marine Le Vey (création) Rosemonde Arrambourg (tournée)

Vidéo Jérémie Scheidler (création) Assistante vidéo Marina Masquelier (création)

Son Loïc Le Roux

Costumes Benjamin Moreau Réalisation costumes Sophie Manac’h


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