Critique théâtre Le Moment psychologique

mise en scène Alain Françon

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le moment psychoologique
(C) Christophe Raynaud de Lage

A la Scala Paris, Alain Françon met en scène Le Moment psychologique, un texte de Nicolas Doutey, où sous une légèreté apparente, pointent les ressorts d’une comédie de l’absurde. 

Sous le signe de Ionesco

La situation de départ semblait simple et banale. Un homme, Paul, a rendez-vous avec un autre, Pierre. Aucun d’eux, cependant, ne se rappelle véritablement pour quel motif. Le protagoniste principal ne s’en souviendra qu’à la toute fin de la représentation. Puis, l’affaire se complique. Bientôt, une femme s’avance, So, qui indique accompagner quelqu’un avec qui Paul avait rendez-vous. Cette femme de pouvoir, Matt, n’est pas encore là. Les « services » , qui ne travaillent pas, tout en faisant croire qu’ils travaillent, ont fourni des données erronées. Ce qui explique son retard. Deux autres personnages interviendront ensuite, Don, expert en surveillance et Pam, qui paraît avoir un rôle important, sans qu’on comprenne vraiment lequel.

Pour le spectateur, les situations régies, a priori par la banalité et l’absurde, se placent forcément sous le signe de Ionesco. Les noms mêmes des protagonistes, réduits à une syllabe, Paul, Pierre, So, Matt… font écho, par exemple, à ceux de La Cantatrice chauve, les Smith et les Martin. Leurs prénoms courts, sans originalité, évoquent l’insipidité et le commun des personnages de Ionesco. On retrouve, également, dans l’écriture de Nicolas Doutey le refus de la psychologie et la volonté de faire rire par la construction de situations cocasses. Et, comme chez le dramaturge roumain, dans Le Moment psychologique, le langage est au cœur du théâtre.

Au fil de la représentation, l’écriture de Nicolas Doutey parvient néanmoins à s’écarter du modèle par trop connu pour proposer une petite musique personnelle. Derrière la vacuité première des échanges, se profile un projet. Si Matt qui, dit-elle, travaille dans les hautes instances de l’État, souhaite voir Paul, c’est qu’elle pense qu’il peut jouer un rôle majeur dans ce qu’elle imagine. Cet homme, qui ne paie pas de mine, tout à fait ordinaire, est l’objet d’un intérêt sincère. C’est sans sarcasme que les échanges ont lieu. Même si le projet semble bien nébuleux, à l’issue de toutes ces réunions sans logique apparente, une autre vision politique pourrait être élaborée à l’échelle du monde.

Le cercle de parole

Le propos s’inscrit dans une scénographie de Jacques Gabel, minimaliste mais efficace. Un large rectangle blanc, légèrement strié de gris bleuté, occupe une grande partie du lointain. Il suggère un ailleurs mais, sans contours réels. Les nuages, à peine esquissés sur la toile, figurent également la vision « climatique » de la politique, telle que tente de la définir le personnage de Matt. Au centre du plateau, des éléments forts structurent l’espace. Il s’agit de quatre bancs blancs en arc de cercle. Ils encadrent une sorte d’ « orchestra » central. La forme générale de l’ensemble, très épurée, mais visuellement puissante, évoque un lieu qui s’apparente à la salle qu’occupaient les sénateurs romains dans l’Antiquité. Celle d’un parlement citoyen. Celle où se tiendrait un petit cénacle en recherche d’une autre politique mondiale.

C’est principalement autour de cette structure, que les six personnages en quête de sens, évoluent.  Les déplacements s’organisent sur le pourtour ou à l’intérieur du cercle. Les personnages, à vue, attendent d’intervenir dans le cercle de parole. Parfois, l’un des protagonistes s’avance en avant-scène sur un tapis de sol blanc, pour se tenir face public et s’adresser à un personnage qui est dans son dos.

La mise en scène soignée d’Alain Françon s’attache à gommer la satire et le ridicule des personnages. Elle vise à rendre palpable le comique et la nouveauté de l’expérience qui est en train de se dérouler dans le présent : celle du choix de Paul comme élément majeur dans l’avènement d’une autre vision de la politique. Le fil est délicat. Il s’agit d’un moment psychologique, un instant qui doit s’ancrer dans le présent. Les comédiens, notamment, Pierre-Félix Gravière, Rodolphe Congé ou Dominique Valadié, s’attachent à donner corps à cette utopie travaillée par la mise en scène. Mais, souvent, l’absurde l’emporte.

Le moment psychologique de Nicolas Doutey, mis en scène par Alain Françon, se regarde sans déplaisir. Nicolas Doutey a reçu le prix jeune théâtre 2023 de l’Académie Française, pour l’ensemble de son œuvre dramatique.

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Le moment psychologique

La Scala Paris

3  au 11 février 2024

Texte Nicolas Doutey
Mise en scène Alain Françon
Avec Louis Albertosi, Pauline Belle, Rodolphe Congé, Pierre-Félix Gravière, Dominique Valadié, Claire Wauthion
Scénographie Jacques Gabel
Dramaturgie Nicolas Doutey
Lumières Émilie Fau
Costumes Elsa Depardieu


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