Critique Hélène après la chute

Texte et mise en scène Simon Abkarian

2 287
Critique Hélène après la chute

Hélène après la chute, la nouvelle création de Simon Abkarian, se saisit de la confrontation du couple mythique Hélène et Ménelas et construit un face à face entre une femme et un homme qui se sont aimés. Le chant et les accords subtils du piano de Macha Gharibian accompagnent le cheminement du couple vers la lumière. 

Hélène: elle Haine ?

La chute de Troie vient de se produire. Elle clôt dix années de guerre entre les Grecs et les Troyens. Les Achéens sont entrés dans la ville endormie, grâce à la ruse d’Ulysse. Les vainqueurs n’ont pas fait de quartier. Animés par une soif féroce de revanche, ils ont décimé les Troyens. Un carnage entache de sang frais les murs de la ville. Les captives de haut rang, Hécube, Andromaque, Cassandre, deviennent les esclaves des chefs de guerre. Que va-il advenir d’Hélène ?

Pour les Grecs et, parfois, la mémoire commune, c’est elle la responsable de la guerre. Elle, l’unique fautive, la « putain » . La femme du roi  Ménélas a suivi un autre homme, un Troyen. Elle a quitté son mari pour les bras du jeune et beau Paris. Pourtant, comme souvent, dans la mythologie grecque, la chaine des responsabilités est multiple.

Paris a été confronté à un choix qui s’avère fatidique. Héra, Athéna et Aphrodite se disputent le cadeau d’Eris, la déesse de la discorde, une pomme d’or portant l’inscription « A la plus belle » . Sommé de choisir entre les trois, Paris, le jeune berger, qui est, en fait, un prince troyen, le fils du roi Priam, choisit Aphrodite. Celle qui lui a promis de posséder la plus belle des femmes. Hélène. Il enlève celle-ci et déclenche la Guerre de Troie, dont L’ Iliade d’Homère, trace l’épopée.

La pièce de Simon Abkarian s’attache à éclairer le personnage d’Hélène. Au coeur du palais troyen, la femme, qui se sait haïe des Grecs, se retrouve face à Ménélas, celui qu’elle a quitté et humilié. Simon Abkarian avait crée, en 2012, Ménélas Rébétiko Rapsodie, un spectacle dédié à ce roi dont la tristesse s’exprimait à la hauteur de son amour perdu. Pour le personnage, dix années ont passé, marquées par la guerre et le sang, mais le prénom, jadis aimé, d’Hélène, ne peut être celui de la haine.

Contre-jour et lumière

Le décor place la scène de retrouvailles dans la chambre où Paris et Hélène se sont aimés. L’or domine. Quatre longs miroirs rectangulaires ornent les murs de la pièce. Ils réfléchissent la lumière et les silhouettes floues des personnages. Hélène (Aurore Frémont) et Ménélas (Brontis Jodorowsky) sont-ils encore ce qu’ils ont été ? Parfois, ce sont les ombres déformées du public qui se devinent. Il s’agit de ne pas oublier que nous sommes au théâtre, un lieu de récit et de jeu. Le mur de fond de scène est d’ailleurs souligné par deux bandeaux lumineux, l’un d’un rouge flamboyant, l’autre d’un bleu roi éclatant. Comme si le lieu était en attente d’un rituel.

Au lointain, une large porte, à deux battants s’ouvre et se ferme. C’est par celle-ci qu’Hélène fait son entrée. Simon Abkarian choisit de la faire apparaître à contre-jour. Auréolée de mystère, elle baigne dans une clarté bleutée. Seuls les contours de son corps, tant convoité, se donnent à voir. Son visage reste dans l’ombre. Et si Hélène dénude le haut de son corps pour défier celui dont elle est désormais prisonnière, les éclairages de Jean-Michel Bauer la nimbent d’une belle transparence.

Des lueurs changeantes accompagnent les étapes de la confrontation entre les deux personnages. Dorées, rougeoyantes, bleutées, les lumières éclairent au plus près les états d’âme de ceux qui devraient se haïr mais qui ne le peuvent pas. Hélène et Ménélas ont partagé un « jadis » . Celui d’un amour vrai et partagé. L’enjeu de Hélène après la chute n’est pas la mort ou la survie de l’héroïne. Il est de voir si, par-delà le temps, les épreuves, et la tristesse, les anciens amants vont parvenir à parcourir le chemin qui les mène à l’autre. Et de retrouver l’éclat vibrant du « jadis » perdu. .

Douceur et contrainte

Les deux personnages ne sont pas seuls sur scène. Les accords subtils du piano et le chant de Macha Gharibian accompagnent leurs paroles et leurs échanges. Parfois, ils décident volontairement de se taire et de laisser la musique parler. « Taisons-nous un instant » , disent-ils. « Ecoute la musique, c’est pour toi qu’elle joue » , dit Hélène. La suspension de la parole est au profit de l’écoute. L’écoute des arpèges du piano et de ceux du coeur. La musique montre le chemin de l’harmonie.

A la grande douceur musicale répondent les lents déplacements de l’élément central scénique. Un imposant canapé d’acajou est manipulé à vue. Une femme et un homme entrent, le font glisser et tourner sur lui-même. Les deux acteurs, dans une chorégraphie silencieuse, au ralenti, s’y assoient, en sortent, se hissent sur le rebord, s’y effondrent, l’un après l’autre. Inexorablement, le mouvement est en marche, qui les fera se rejoindre.

Il est dommage, néanmoins, que le jeu des acteurs ait été si corseté. La contrainte des corps comme emprisonnés en eux-mêmes et la diction parfois guindée tiennent à distance celui qui regarde. La souffrance intérieure des personnages aurait gagné à être travaillée plus dans les corps, moins dans l’immobilité. Le texte s’en tient souvent un peu trop aux éléments connus du mythe. La poésie n’en est pas absente. De belles phrases restent en tête : « Quand j’ai la force de regarder le ciel, il se rétrécit » . Le monologue d’Hélène : « Je ne suis pas un animal de compagnie » montre que la parole aurait pu être plus tirée vers la modernité.

Hélène après la chute de Simon Abkarian, par sa mise en scène, fait exister le lent mouvement qui conduit, malgré la souffrance endurée et la tragédie, une femme et un homme qui se sont aimés à se rejoindre. La musique et le chant empreint de nostalgie de Macha Gharibian accompagnent leurs pas.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Hélène après la chute

Athénée Théâtre 

Du 7 au 25 novembre 2023

Texte et mise en scène Simon Abkarian • Composition musicale Macha Gharibian

Hélène Aurore Frémont • Ménélas Brontis Jodorowsky • Piano, Voix Macha Gharibian

Collaboration artistique Pierre Ziadé                                                                                                                                            Création lumière Jean-Michel Bauer • Création décor Noëlle Ginefri & Philippe Jasko • Création son Orian Arrachart • Création costumes Simon Abkarian

Conception costumes Nathalie Thomas                                                                                                                          Constructeur décors Philippe Jasko • Régie plateau Maral Abkarian & Philippe Jasko • Production Pascale Boeglin • Administration Andrea Nicolodi

Hélène après la chute de Simon Abkarian est publié aux éditons Actes Sud papiers.

Production : La Compagnie des 5 Roues


Vous souhaitez lire une autre critique théâtre de M La Scène, concernant un spectacle programmé à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet ?  Celle-ci pourrait vous intéresser : Critique Phèdre mise en scène Georges Lavaudant

laissez un commentaire

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus