Critique Combat de nègre et de chiens
mise en scène Mathieu Boisliveau
Après Hamlet de Shakespeare, la compagnie Kobal’t monte une autre tragédie de la vengeance, Combat de nègre et de chiens de Bernard-Marie Koltès. Dans une clarté crépusculaire, Mathieu Boisliveau met en lumière la solitude de quatre êtres en quête d’amour que la frustration mène à la violence.
Solitudes dans un champ de sable
Publiée en 1979, Combat de nègre et de chiens, la pièce de Bernard-Marie Koltès, s’ancre dans une Afrique métaphorique. Une didascalie inaugurale stipule juste que l’action prend place « Dans un pays d’Afrique de l’Ouest, du Sénégal au Nigeria, un chantier de travaux publics d’une entreprise étrangère. » Dans l’immensité du continent noir, ce chantier du BTP est un espace restreint. Des Blancs, sur la défensive, occupent ce territoire dérisoire.
Enclavé, entouré de gardiens et de miradors, le lieu voit pourtant, un jour, arriver Alboury, un « noir mystérieusement introduit dans la cité » . Il vient réclamer le corps de son « frère » . Celui-ci, contrairement à ce qui avait été annoncé, n’est pas mort suite à un accident de travail. C’est un ingénieur, Cal, qui l’a abattu car l’ouvrier avait craché à ses pieds. Horn, le chef de chantier, essaie de cacher la vérité et tente d’amadouer Alboury. Parallèlement, la venue de Léone, une femme à qui Horn a proposé le mariage lors d’un séjour à Paris, exacerbe les tensions et les désirs.
Pour Mathieu Boisliveau, ces quatre personnages sont « des êtres abimés par le manque de considération, qu’elle soit amoureuse, professionnelle ou sociale. C’est ça qui les fait parler. C’est la blessure. » Cette blessure ira jusqu’à la scarification que Léone inflige à son propre visage. Et au meurtre, à la lumière tant souhaitée du feu d’artifice tiré par Horn.
La poésie de l’espace
C’est au son de la chanson Bette Devis Eyes de Kim Carnes, émis doucement par un petit transistor daté, que les spectateurs s’installent, dans la salle et sur la scène. Le dispositif tri-frontal fait du spectateur un acteur de la représentation. Assis sur leurs gradins, observant les personnages en action, ils deviennent les gardiens de la cité et du plateau. Au centre, un vaste espace sableux évoque métaphoriquement la terre africaine et donne une matérialité palpable au chantier.
La scénographie imaginée par Christian Tirole, comme les lumières crépusculaires de Claire Gondrexon construisent un univers poétique où, de l’aube au crépuscule, la tragédie va se jouer. Dans un espace clos, nimbé de lueurs chaudes ou bleutées, les face à face des personnages s’enchaînent, sans qu’ils puissent échapper aux regards qui les observent. Même au cœur de la presque nuit, l’œil de chacun les traque.
A l’intérieur de cette arène, les quatre acteurs (Chloé Chevalier, Pierre-Stefan Montagnier, Denis Mpunga et Thibault Perrenoud) déploient un jeu d’une grande justesse. La fragilité, la frustration, le désir, la sourde violence qui les animent, se font entendre. On se souviendra du joli moment de danse entre Léone ( Chloé Chevalier) et Alboury (Denis Mpunga). Le oualof, le français et l’allemand se répondent avec tendresse. La manifeste complicité qui fédère le collectif Kobal’t autorise, également, de nombreux instants de connivence avec le public.
Par sa mise en scène, Mathieu Boisliveau confère aux êtres esseulés de Combat de nègres et de chiens de Koltès, une humanité touchante, qui les écarte de tout dogmatisme sectaire. Le texte de Bernard-Marie Koltès résonne comme une tragédie intime.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
COMBAT DE NÈGRE ET DE CHIENS
Théâtre de la Bastille 08 NOV > 02 DEC
texte BERNARD-MARIE KOLTÈS
Création collective KOBAL’T
Mise en scène Mathieu Boisliveau
Collaboration artistique Thibault Perrenoud et Guillaume Motte
Assistant à la mise en scène Guillaume Motte
Dramaturgie Clément Camar-Mercier
Avec Chloé Chevalier, Pierre-Stefan Montagnier, Denis Mpunga et Thibault Perrenoud
Scénographie Christian Tirole
Lumière Claire Gondrexon
Costumes Laure Mahéo
Pyrotechnie Claire Gondrexon et Raphaël Barani
Régie générale et son Raphaël Barani Régie plateau Benjamin Dupuis
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