Critique Andromaque

Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig

4 223
Andromaque - 04-11-23 - Simon Gosselin-108

A l’Odéon, la scénographie puissante et la mise en scène ciselée de Stéphane Braunschweig offrent un écrin pictural à la tragédie de Racine, Andromaque.

Le cercle de sang racinien

Astyanax va-t-il mourir ? Le sort de cet enfant est au coeur de la tragédie classique de Jean Racine, Andromaque. Celle-ci met en scène des personnages issus de la Guerre de Troie. Après la victoire des Achéens, Pyrrhus, revient en Épire, son royaume. Comme tous les grands chefs de guerre grecs, il a obtenu en butin, une Troyenne de haut rang. Lui, s’est vu offrir, Andromaque, la veuve d’Hector. Mais, le général sanguinaire s’est épris de sa captive. Au point même de rompre les voeux qui le liaient à Hermione, la fille de Ménélas et Hélène. Pour obliger Andromaque à l’épouser, il fait d’Astyanax un objet de chantage terrible. La mère, pour sauver son enfant, doit accepter d’être conduite devant l’autel, au bras de Pyrrhus, le fils d’Achille, le meurtrier de son époux. 

Astyanax n’est pas seulement un objet de chantage. L’enfant constitue aussi une menace pour les Grecs. Le fils d’Hector, prince de sang, survivant de la tuerie de Trois, en grandissant, pourrait se venger. Nombreux sont ceux qui préféreraient le voir mort. Pourtant, par amour pour Andromaque, Pyrrhus annonce qu’il est prêt à la faire reine et à renier ses anciens alliés. Elle, une Troyenne. Une souveraine ennemie qui pourrait faire d’Épire, au sein de la Grèce, le berceau de possibles représailles.

La tragédie de Racine est largement nourrie des souvenirs traumatiques des dix années de guerre contre Troie et des images d’horreur gravées dans les mémoires. Ceux qui l’ont vécue ne peuvent l’oublier. L’amour semble désormais impossible. Dans Andromaque, si on aime, on n’est jamais aimé en retour. La violence, seule, répond à la passion. Prisonniers de leurs sentiments exacerbés, les personnages ne peuvent échapper à leur destin marqué par le sang.

La terrible géométrie du destin

La scénographie conçue par Stéphane Braunschweig magnifie la tragédie racinienne. Le rideau s’ouvre sur le palais de Pyrrhus. Au lointain, les murs sont noirs. Au centre du plateau, un large cercle écarlate, délimité par un petit rebord, trône et dévore presque tout l’espace. Une table recouverte d’une nappe immaculée et trois chaises blanches aux pieds fins, renvoient encore quelques touches de clarté. Bientôt, le temps ne sera plus aux échanges « diplomatiques » . Les quelques éléments de décor, table et chaises, sont enlevées à vue. Ne reste que le grand cercle vermillon, symbole de la violence passée et de celle à venir.

L’image s’impose avec force car le cercle est, à la fois, lumière et matière. Le rouge, au gré de l’avancement de la tragédie se fait tourbillon et miroir. Les silhouettes des personnages s’y réfléchissent. Parfois, leurs doubles sanglants par un écho tragique, se projettent sur le mur sombre au lointain. Il sembla alors que se dessinent les possibles présences funestes des dieux qui présidaient au destin fatal des hommes. Leurs ombres et la mort rodent dans un ciel noir de suie. Le cercle est aussi matière. Quand les acteurs avancent ou se déplacent, un bruit liquide accompagne leurs pas. Saisissante image que ce sang dans lequel ils tentent d’avancer.

Un rideau transparent, qui se lève et se baisse, rythme parfois les scènes. Mais au dernier acte, c’est un large rectangle de verre qui descend. Soutenu par deux filins, la masse transparente et réfléchissante, tranche le cercle en deux moitiés.  Hermione et Oreste ne sont plus eux-mêmes et ne reconnaissent plus l’image que l’épais miroir leur renvoie. L’humiliation et la frustration de leurs désirs les ont menés au meurtre, les coupant à jamais de celui ou de celle qu’ils aimaient.

Faire entendre les vers de Racine

Dans ce cercle vermeil, semblable à un cou coupé, celui des victimes passées qui entache encore le présent des personnages, se profile l’écho des horreurs de toute guerre et de leur cortège de massacres. Les costumes (Thibault Vancraenenbroeck) en soulignent l’idée. Alexandre Pallu (Pyrrhus) entre ainsi en habit kaki. Le chef de guerre grec convoque alors la figure de Volodymyr Zelensky – à l’exception de l’animalité apportée par le jeu de l’acteur. Sa haute stature et son corps massif dressent l’image du guerrier impitoyable « de sang tout couvert échauffant le carnage » . Mais, le vers racinien n’en est pas moins dit avec subtilité.

La mise en scène de Stéphane Braunschweig cisèle chaque geste. Que les comédiens soient sur le pourtour du cercle, y entrent, ou s’y déchirent, tout parait signifiant et limpide. Cette extrême maîtrise des déplacements et des corps permet au vers racinien de se déployer en toute clarté, avec sa charge d’émotion et de violence. Boutaïna El Fekkak (Céphise) propose ainsi d’infimes pauses étonnantes, qui sont autant de petites perles précieuses, pour sertir de persuasion ses échanges avec Andromaque.

Dans leur ultime face à face Pierric Plathier (Oreste) et Chloé Réjon (Hermione), dont la fureur a été contrainte jusque dans le corps, laissent éclater un juste désespoir. Enfin, Bénédicte Cerutti (Andromaque) livre tout en sensibilité et retenue, les mots d’une femme captive. Ceux d’une victime de guerre qui tente de naviguer à vue dans les eaux rougies qui la cernent, pour sauver son fils. Sa longue silhouette blanche traversant le cercle de sang vermeil reste gravée dans la mémoire.


Comme avec Iphigénie, sa précédente mise en scène d’une tragédie de Racine, Stéphane Braunschweig magnifie Andromaque. Le noir, le blanc et le rouge se répondent en un tableau sublime.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Andromaque

de Jean Racine
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
création à l’Odéon 6e

16 novembre – 22 décembre

avec Jean-Baptiste Anoumon, Bénédicte Cerutti, Boutaïna El Fekkak, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, Clémentine Vignais

collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
costumes Thibault Vancraenenbroeck
coiffures et maquillage Emilie Vuez
lumière Marion Hewlett
son Xavier Jacquot
assistant à la mise en scène Aurélien Degrez


Vous souhaitez lire une autre critique théâtre de M La Scène, sur un spectacle mis en scène par Stéphane Braunschweig  ? Celle-ci pourrait vous intéresser : Critique Iphigénie, mis en scène Stéphane Braunschweig
 
laissez un commentaire

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus