Critique A Noiva e o Boa Noite Cinderela

Conception Carolina Bianchi

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Dans A Noiva e o Boa Noite Cinderela, Carolina Bianchi se livre à une performance extrême, absorber la drogue dite « du violeur » , en direct et laisser voir son effet sur elle. Son corps anesthésié, totalement vulnérable, devient le jouet de tous les outrages possibles. Les réminiscences du viol qu’elle a subi interrogent les violences faites aux femmes, agressions, mutilations, féminicides. Si la première partie intéresse et peut convaincre, la seconde plonge le spectateur dans des abîmes de sidération, tant les images s’apparentent à un patchwork décousu. 

Le viol immonde de Cendrillon

« Combien il est difficile d’en parler » . C’est par ces mots que commence A Noiva e o Boa Noite Cinderela. Comment, en effet, parler du viol dont on a été la victime ? Et comment en faire une oeuvre artistique qui puisse être portée sur scène ? Il y a une dizaine d’années, Carolina Bianchi a été droguée et violée. La metteuse en scène brésilienne choisit non seulement d’aborder cette agression mais, de la recréer par une performance extrême et redoutable.

Elle le déclare au début. L’artiste boira, avec un peu de Vodka, la drogue de violeur. Elle sombrera lentement et la représentation continuera sans elle. Par ce geste radical, Carolina Bianchi accepte de perdre conscience et d’être à nouveau à la merci du pire. Ce choix inouï lui permet de se réapproprier artistiquement une expérience traumatique. Tout en refusant, de façon absolue, l’oubli ou l’acceptation d’une reconstruction. « Fuck catharsis »  est son mot d’ordre.

Car, en réactivant, chaque nuit devant nos yeux ce qu’elle a vécu, elle le revit. Soir après soir, quand le spectacle se joue, elle échappe à l’amnésie et à ce qu’elle appelle  » la digestion du pardon » . Dans ce conte atroce, Cendrillon, tous les soirs, tombe inconsciente dans les bras de personnes qu’elle a maintenant choisies, espérant comprendre ce qui lui est arrivé pendant qu’elle n’était plus elle-même.

Le public devient spectateur de la vulnérabilité du corps inconscient de la femme qui a été droguée. Entre l’idée mentale que nous avions pu nous en faire et la réalité à laquelle nous sommes confrontés, l’écart est gigantesque. La force trouble de la performance tient dans ce face à face avec l’horreur à portée de regard, sur scène.

Le premier versant du conte

Le spectacle est conçu en deux parties. Dans la première, Carolina Bianchi, habillée d’un sage costume beige et blanc, propose ce qui s’apparente à une conférence. Debout, elle arpente le plateau. Derrière un bureau, elle lit une partie des notes conséquentes de sa recherche autour des agressions de femmes et des performances extrêmes d’artistes féminines.

Elle envisage tout d’abord le viol à travers l’histoire de l’art. Sur un écran, la série de peintures de Sandro Botticelli exécutée en 1483, L’Histoire de Nastagio degli Onesti  sont notamment projetées et analysées. Les oeuvres montrent quatre scènes à la lecture effrayante. Un homme éconduit organise un banquet. Il s’agit de convaincre la dame qui s’est refusée à lui de l’épouser. Lors du repas, une scène cauchemardesque à laquelle il a assisté, est rejouée. Celle d’une chasse, au terme de laquelle, un cavalier tue la femme qui l’a repoussé et la donne à manger à ses chiens. La menace et la perspective d’une mort atroce amènent la femme, dans le tableau final, à accepter le mariage.

Carolina Bianchi évoque aussi longuement Pippa Bacca, une artiste italienne, violée et assassinée, en 2008. Celle-ci accomplissait une performance à travers l’Europe. En robe de mariée, elle traversait les pays, en faisant de l’auto-stop. Son itinéraire artistique s’arrête en Turquie, l’endroit où elle a été assassinée. La metteuse en scène cherche à comprendre les motivations de l’artiste et cherche à la faire revivre, à travers les photos qu’elle projette, comme à travers les mots qu’elle prononce. C’est « une âme désespérée qui tente de ressusciter une autre âme désespérée » , dit-elle. La jeunesse, l’innocence, l’habit virginal de mariée n’ont pu protéger ces Cendrillons modernes de la violence. La conférence prend fin quand l’artiste brésilienne succombe à la drogue et s’endort sur la table où elle officiait.

Un patchwork cauchemardesque 

Carolina Bianchi endormie, le collectif Cara de Cavalo prend en charge la suite de la représentation. La metteuse en scène n’est plus qu’une poupée de chiffon qu’ils peuvent manipuler à loisir. Des femmes la déshabillent, la revêtent de blanc, d’autres la déposent sur un matelas ou dans le coffre d’une voiture sur le plateau.

La scène s’est ouverte en profondeur. Posés une grande bâche noire, éclairée de rouge ou de vert, des tas de cendres, des ossements, voire une poupée gonflable, apparaissent. Le matelas sur lequel repose l’artiste droguée fait partie de l’ensemble. Quelle est la place et la matière de ce corps ? semble nous dire, de façon un peu trop évidente, la performeuse.

Sur écran, on projette des textes, phrases de l’artiste ou fait divers sordides. Ainsi en est-il d’un épisode monstrueux survenu au Brésil. Il fait tragiquement écho aux peintures de Botticelli, évoquées en première partie. En 2013, un gardien de but sortait de prison après avoir assassinée Eliza Samudio, son ex-maitresse enceinte. Ses sbires avaient découpé son corps et, sur ses ordres, l’avaient donné à manger à ses chiens. A sa sortie de prison, le criminel, sans vergogne, avait négocié un nouveau contrat avec un club de football. Pour tenter de lier les diverses pièces de cette partie, le collectif Cara de Cavalo se livre à plusieurs enchainements chorégraphiques dépassés, qui affadissent le propos. 

Il ressort de l’ensemble le sentiment d’un patchwork décousu. Et l’impression, également, que la musique, la danse très datée et les projection de textes sur écran, essaient tant bien que mal de combler le laps de temps nécessaire au réveil sur scène de Carolina Bianchi.

Un final éprouvant

Le final ne ménage pas le spectateur. Dans la voiture en fond de scène, des femmes s’assoient. Filmée en direct par les caméras que tiennent les artistes masculins, chacune d’elles cadrée en gros plan, chante un extrait de chanson en fixant l’objectif. L’une écrit Help en lettres rouges sur le pare-brise et le crie contre la vitre.

Enfin, le corps inconscient de Carolina Bianchi est posé sur la capot de la voiture. Les membres du collectif pousse le véhicule en avant-scène, au plus près du public. Le sexe de la performeuse offert à la vue. Puis, avec l’aide d’un spéculum, une des artistes féminines lui enfonce une caméra endoscopique dans le vagin. Les images des muqueuses sanguines apparaissent en gros plan sur les différents écrans. Longues minutes d’exploration in vivo.

L’artiste brésilienne posait à un moment la question : Qu’est-ce que je regarde ? Et nous nous la posons également. Que cherche-t-on à montrer par cet examen gynécologique en direct ? La vaginoscopie pour sonder l’âme ? La coloscopie pour investiguer l’organe qui a suscité le désir brutal de le forcer ?

Toujours est-il que ce final place le public dans la situation de voyeur patenté face au sexe offert. Il déshumanise par le regard le corps qui est ausculté et regardé. La gratuité de l’exposition se pose véritablement.


Dans A Noiva e o Boa Noite Cinderela, Carolina Bianchi, par la performance extrême à laquelle elle se livre, continue à interroger le viol qu’elle a subi et l’absence de souvenir de ce qu’on lui a infligé. Il est dommage que la seconde partie du spectacle n’accompagne le sommeil de Cendrillon que d’un fatras d’images peu convaincantes.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

 

A Noiva e o Boa Noite Cinderela

Festival d’Avignon 

Avec Larissa Ballarotti, Carolina Bianchi, Blackyva, José Artur Campos, Joana Ferraz, Fernanda Libman, Chico Lima, Rafael Limongelli, Marina Matheus
Texte, conception, mise en scène, dramaturgie Carolina Bianchi
Traduction pour le surtitrage Larissa Ballarotti, Luisa Dalgalarrondo, Joana Ferraz, Marina Matheus (anglais), Thomas Resendes (français)
Dramaturgie et recherche Carolina Mendonça
Direction technique, musique originale, son Miguel Caldas
Lumière Jo Rios
Scénographie Luisa Callegari
Vidéo Montserrat Fonseca Llach
Costumes Carolina Bianchi, Luisa Callegari, Tomás Decina
Collaboration artistique Tomás Decina
Entraînement du corps et de la voix Pat Fudyda, Yantó
Construction voiture Mathieu Audejean, Philippe Bercot, Miguel Caldas, Luisa Callegari, Pierre Dumas, Lionel Petit, Xavier Rhame, Jo Rios – Atelier de construction du Festival d’Avignon
Dialogue sur la théorie et la dramaturgie Silvia Bottiroli
Collaboration artistique Edit Kaldor (DAS Theatre)
Vidéo du karaoké Thany Sanches


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