Celui qui tombe Chorégraphie Yoann Bourgeois
celui qui tombe: L’esthétique du risque
LM MMM Celui qui tombe de Yoann Bourgeois
De la pénombre émergent six corps en équilibre, trois femmes et trois hommes, contraints de se pencher, de s’arc-bouter pour ne pas tomber d’un plateau suspendu qui les tient prisonniers à quelques mètres du sol. Une humanité fragile vient de naître et d’apparaître. Le large et lourd plancher de bois retenu dans les airs par des filins d’acier craque comme un vieux navire abandonné au milieu de nulle part. Actionné par un machiniste, au sol, parfois à vue, le plancher, îlot menaçant et redoutable, penche, bascule, s’élève, redescend, tournoie et malmène ceux qui tentent d’exister et de tenir sur ce lieu inhospitalier. Le plateau est le monstre qui décide du mouvement, c’est sa mécanique capricieuse qui contraint les corps et les oblige à imaginer une réponse. Les danseurs sont des jouets à sa merci, sans cesse surpris par les déplacements qu’on leur impose.
La scénographie imaginée par Yoann Bourgeois est impressionnante et réellement novatrice. Elle fragilise volontairement les corps. Ce ne sont plus les danseurs qui imposent les trajectoires, les vibrations de l’espace par leurs gestes et leurs déplacement mais c’est le plateau et ses mouvements qui dominent les danseurs au point très souvent de les mettre en danger. Cette esthétique du risque, magnifiée par les belles lumières d’Adèle Grépinet, bouleverse les habitudes du regard comme le rapport à l’espace.
S’entraider pour ne pas tomber
Derrière ces six danseurs malmenés ( Mathieu Bleton, Julien Cramillet, Marie Fonte, Dimitri Jourde, Élise Legros, Francesca Ziviani, interprètes époustouflants) se profile très vite l’image d’une humanité en péril, celle de femmes et d’hommes qui ont à composer avec un monde terrible et mouvant, un monde sans égards pour ceux qui peuvent être broyés.
Soudain, face au danger de cette instabilité, où chaque pas, où chaque geste peut provoquer la chute, l’évidence s’impose. Liés les uns aux autres, les danseurs doivent pour tenir, s’entraider. Une des grandes réussites de Yoann Bourgeois, hors la scénographie que nous avons déjà évoquée, c’est de parvenir à rendre passionnante cette tentative humaine d’entente dans l’urgence. Le spectateur vibre littéralement avec les danseurs. Au Théâtre de Sartrouville, vendredi soir, il retenait son souffle, il laissait échapper des cris, il applaudissait aux trouvailles de survie. L’assemblée théâtrale partageait le même élan d’espoir.
Si quelqu’un cherche encore à comprendre la signification de l’art vivant qu’il se précipite pour voir ce spectacle: « Celui qui tombe » de Yoann Bourgeois est un manifeste pour l’art vivant, pour l’art vibrant.
http://www.theatre-sartrouville.com/
Centre chorégraphique de Grenoble http://www.ccn2.fr/
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