Bovary: « La mémoire de l’injustice »
Qui contesterait aujourd’hui à Madame Bovary, le roman de Gustave Flaubert, sa place de monument de la littérature française ? Étudiée au lycée, en fac et sujet de thèses, l’oeuvre, qui inaugura ce que Michel Raymond appelait « le réalisme subjectif », c’est-à-dire le fait de présenter au lecteur une réalité fictive par le prisme des protagonistes, fut pourtant lorsque elle parut dans La Revue de Paris, vilipendée, mise au banc des accusées et menacée d’interdiction pour« outrages à la morale et aux bonnes mœurs».
C’est ce que rappelle Tiago Rodrigues dans Bovary, le spectacle qu’il propose au Théâtre de la Bastille. Libre adaptation du procès, appuyé sur les échanges que Flaubert fit sténographier à ses frais afin de prouver « la stupidité » de son époque, la pièce revendique « cette mémoire de l’injustice » pour rappeler que tout pouvoir est ignorant et que la censure n’est pas morte.
Le Danger des mots
Quand le spectateur entre la salle, les acteurs sont déjà sur scène. Ils arpentent le plateau, une liasse de feuilles entre les mains, les jetant au gré de leur déambulation dans l’air jusqu’à ce que le sol ne soit qu’une mer blanche. La symbolique est claire. Quel poids peuvent avoir les écrits jetés à la face du monde si personne ne peut les lire?
Pourtant, ces feuilles abandonnées sur scène, resteront dangereuses comme le sont les mots, devenant acte juridique, lettre d’amour, créance, brassées de tristesse ou écueils pour le comédien qui se déplace ou danse frénétiquement. Essentielles au décor. Les autres éléments, panneaux aux formes sphériques, tables, escabeaux, échelles en bois, ne serviront qu’à faire vivre les espaces du roman (appartement de Charles, salon étriqué du pharmacien de Yonville – moment hilarant- ou la fameuse calèche à Rouen.)
Un montage au cordeau
Le montage au cordeau de Bovary, mêle réquisitoire, plaidoirie du procès, extraits de la correspondance de Flaubert, passages du roman et incarnation des personnages réels ( dont l’avocat impérial Pinard, le défenseur Sénard et Flaubert) comme des personnages fictifs ( Emma, Charles, Rodolphe, Léon, Lheureux..). Ce tissage confère une épaisseur saisissante au spectacle.
Soutenu par cinq comédiens qui a, chaque instant, jouent avec délice leur personnage ( Mathieu Boisliveau, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alma Palacios et Ruth Vega Fernandez), Bovary donne envie de se replonger dans l’oeuvre, ce qui n’est pas rien.
Au terme de deux heures d’intelligence, d’humour, de finesse, Tiago Rodrigues réaffirme la puissance d’un art inventif et surtout, libre.
Au Théâtre de la Bastille
01 > 17 mars 20h
19 > 28 mars 21h
relâche les dimanches
Durée : 2 h
Texte édité aux Solitaires Intempestifs
http://www.theatre-bastille.com/
M La scène autre article sur un spectacle au Théâtre de la Bastille de la saison :