Critique Portrait de l’artiste en ermite ornemental
Conception Patrick Corillon
Chapelle des Pénitents Blancs, Patrick Corillon présente Portrait de l’artiste en ermite ornemental. Précédé d’une exposition personnelle et ludique, le spectacle prend les allures de contes initiatiques où les mots disent la délicate poésie d’un monde que l’on peut embellir.
Des objets et de l’âme
« Objets inanimés avez-vous donc une âme ? » s’interrogeait le poète Alphonse de Lamartine, dans le recueil Harmonies poétiques. Pour le plasticien et conteur belge, Patrick Corillon, la question ne se pose pas. Il conçoit des objets auxquels il dit avoir donné toute sa confiance : « C‘est comme un bouteille à la mer quand on fait une expo et ce sont eux qui nous représentent, qui sont notre vecteur » .
Lorsque Patrick Corillon invente une histoire à conter, mots et objets lui apparaissent et s’emboîtent dans une mécanique qui sera prolongée par sa main et déployée par le public. « Le moteur des mots qui sortent de ma bouche, dit-il, c’est de pouvoir donner toute la chance aux objets de se tenir devant un public, et donc, c’est vraiment une parole qui accompagne les objets, qui est là pour incarner les objets » . Par le geste, la manipulation et la parole, un voyage intérieur et extérieur peut être entrepris.
Portrait de l’artiste en ermite ornemental propose quatre spectacles : L’Appartement à trous, Le Voyage de la flaque, Les images flottantes, Le Dessous-dessus. Le titre générique, qui pourrait paraître paradoxal puisqu’il évoque l’artiste en reclus et parallèlement, en ornement, fait pourtant référence à une réalité qui existait au XVIIIe et XIXe siècles en Angleterre. De riches aristocrates logeaient des ermites dans leurs jardins, parfois, leur construisaient des grottes. En échange, les ermites devaient passer quelques heures dans le jardin, afin d’y apporter « une petite touche philosophique » , comme un ornement de plus. Dans la société, pour Patrick Corillon, l’artiste nécessairement confronté à des choses fondamentales doit accepter d’être vu comme non essentiel, un ornement.
Pour un monde moins sec
Dans L’appartement à trous, le conteur n’est pas seul. Sur scène, une haute table de bois se transforme en un second plateau. Divers objets, dissimulés à la vue dans un premier temps, vont accompagner le récit fantasque et touchant qui est conté et devenir personnages. Une longue et fine baguette de bois manipule ainsi des pages calées, ou déplacées, au fur et à mesure, dans les rainures de la table. Sur les feuilles à dessin, rien d’illustratif. Des croquis de Patrick Corillon, aux lignes souples deviennent ce qu’on veut ou croit y voir par le pouvoir des mots et de l’imagination.
A partir d’une feuille de papier, à la dimension de la table, se déploie le voyage initiatique d’un jeune homme qui part à la découverte du pouvoir secret des langues et, forcément, de lui-même. Tout commence donc par la possession d’un frottage, exécuté sur le plancher d’une prison en Sibérie. Celle du poète russe Ossip Mandelstam, qui racontait des histoires à ses compagnons de détresse, avant de mourir de froid et d’épuisement au goulag. Trace tangible de ses derniers instants, l’écrivain continue à exister par le pouvoir magique de la main qui frôle ce papier.
Le narrateur se lance alors dans une épopée intime et cocasse. Après avoir appris l’anglais, la langue des pierres, le héros peut s’adresser à la pierre tombale de son père. Puis, il écoute les arbres, les bouleaux, pour connaître le polonais, la langue des feuilles. Sur le Pont Mirabeau, il regarde la Seine, clin d’oeil à Apollinaire, un autre poète. Il apprend si bien le français, la langue de l’eau, qu’il devient le spécialiste de « L’homme de l’eau » , un petit être libéré lors de l’accouchement. Est-il comme cet enfant issu d’un conte russe, qui se métamorphose, en ver à papier ou en ver à bois, voire en lui-même en fonction de ce qu’il mange ?
Le voyage de la flaque, un conte raconté par la comédienne et metteuse en scène Dominique Roodthooft qui dirige la structure Le Corridor, offre au public la possibilité d’accompagner l’avancée du récit par des manipulations. Le dispositif bi-frontal matérialise l’espace où la flaque, qui était étang et mare, pourrait disparaître. Des deux côtés de la rive se tiennent les spectateurs-acteurs, dotés de lumières, comme de petites lucioles dans la nuit. Par la main et l’esprit, l’ermite offre son ornement avant que le monde ne soit trop sec.
Portrait de l’artiste en ermite ornemental de Patrick Corillon est une invitation à s’approprier une pensée initiatique profonde avec délicatesse, humour et légèreté.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Portrait de l’artiste en ermite ornemental
Spectacles vus L’appartement à trous et Le voyage de la flaque
du 6 au 12 juillet 2023
Festival d’Avignon 77e édition
Avec Patrick Corillon, Dominique Roodthooft
Texte et conception Patrick Corillon
Mise en scène Patrick Corillon, Dominique Roodthooft
Scénographie Patrick Corillon
Collaboration à la scénographie Chloé Arlotti, Rüdiger Flörke, Camille Henrard, Ioannis Katikakis, Valérie Perin, Grégoire Trichon, Emma Werth.
Assistanat à la mise en scène Nora Dolmans
Infographie et animation Raoul Lhermitte
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