Critique Le Tambour de soie
mise en scène et chorégraphie Kaori Ito & Yoshi Oïda
(Un Nô moderne)
La danseuse Kaori Ito et Yoshi Oïda, le comédien mythique de Peter Brook, ont imaginé une fable sensible, autour d’une jeune artiste et d’un homme au crépuscule de sa vie. Le Tambour de soie résonne comme un nô contemporain à l’émotion subtile.
Du crépuscule à la lumière
Une pièce de théâtre nô Aya no tsuzumi 綾鼓, écrite par un auteur anonyme du XVe siècle est à l’origine du Tambourin de soie de Yukio Mishima. L’histoire racontait celle d’un vieux balayeur du Palais de Kinomaru, dans la province de Chikuzen, qui apercevait une des épouses de l’Empereur et en tombait éperdument amoureux. Celle-ci se jouait de lui, en lui promettant d’apparaître, si le vieillard parvenait à faire vibrer le tambour accroché à un arbre. Tâche impossible, car sur l’instrument, une étoffe de Damas avait remplacé la peau. L’homme désespéré, à bout de forces, se jetait dans l’étang, puis, venait hanter la femme devenue folle.
Avec Jean-Claude Carrière, Kaori Ito et Yoshi Oïda, ont choisi de s’inspirer de la version adaptée de cette histoire par Yukio Mishima, dans Cinq Nô modernes, traduits par Marguerite Yourcenar. Dans cette version, la femme déclare à la fin « comme en rêve : Je l’aurais entendu s’il avait frappé une fois de plus. » L’action se déplace du palais au théâtre. L’homme âgé balaie et range le plateau. Présence quasi fantomatique, il éteint ou allume la servante quand le théâtre est vide. La femme est une danseuse, quelque peu hautaine, venue pour répéter avec son musicien.
L’espace d’une heure, danse et théâtre dialoguent. Par le corps, des liens vont se tisser entre le vieil homme, au crépuscule de sa vie, et l’artiste encore dans la lumière. Un hymne aux infinis possibles de la renaissance que vivent chaque soir les comédiens.
« Souffrance. Je danse. Je vis »
La mise en scène imaginée par Kaori Ito et Yoshi Oïda s’appuie et joue sur l’alternance du noir et de la lumière. Servante allumée, la salle est éclairée. Servante éteinte, le plateau assombri laisse deviner les présences fantomatiques qui l’habitent encore. Quand l’espace est celui de la répétition, la danseuse interpelle le régisseur et vérifie l’éclairage. Lorsqu’elle danse, happée par le spectacle de l’histoire, les projecteurs et la douche, contrôlés précédemment, la nimbent de lueurs moirées (Arno Veyrat). Réalité, jeu et rêve se confondent et se chevauchent.
Le musicien Makoto Yabuki complète le duo. Acteur, il est celui qui répète avec la danseuse et qu’elle rabroue. Musicien, par sa voix et ses instruments joués en direct, il poétise la danse. Le nô ancien irradie le nô moderne. Makoto Yabuki utilise les instruments traditionnels, les flûtes en bambou Nô-kan du théâtre Nô et Shinobué. La flûte quéna d’Amérique du Sud, les tambours japonais taïko et shimé-daïko et le xylophone en bambou také-marimba, qu’il a pour la plupart fabriqués, nourrissent également l’univers sonore.
A quatre-vingt-neuf ans, Yoshi Oïda, étonne encore. Lorsqu’il danse avec Kaori Ito, l’émotion prime et abolit les frontières de l’âge. La fluidité de leur duo enchante. Il y a quelque chose de très touchant à les voir ainsi partager, dans l’instant de la représentation, un lien vivace par la danse. Comme celui d’un père avec sa fille.
Le Tambour de soie, mis en scène et chorégraphié par Kaori Ito & Yoshi Oïda, accompagné par le musicien Makoto Yabuki, fait résonner les échos vibrants d’un Japon ancestral avec une acuité moderne.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Thhéâtre Les Amandiers 11/11/2022
Le Tambour de soie
Théâtre de Amandiers 10 — 26 novembre 2022
Inspiré de Yukio Mishima Le Tambourin de soie, Cinq Nô modernes de Yukio Mishima Traduit par Marguerite Yourcenar, Éditions Gallimard