La Mouette mise en scène Cyril Teste
Au Théâtre des Amandiers, La Mouette de Tchekhov, mise en scène par Cyril Teste, touche et éblouit par sa capacité à capter l’indicible. Le travail sur la vidéo donne à voir les remous intimes de l’âme.
A la surface des sentiments
Au bord d’un lac, loin de Moscou, vit le jeune Constantin Treplev. Sa mère, une très belle actrice, le laisse croupir dans la propriété de son vieil oncle, Sorine, un magistrat à la retraite. Costia le dit dès la scène 1 : sa mère ne l’aime pas. « Elle a envie de vivre, d’aimer, de porter des robes claires, et moi, j’ai déjà vingt- cinq ans. Je lui rappelle constamment qu’elle n’est plus toute jeune. Quand je ne suis pas là, elle n’a que trente-deux ans. Avec moi, elle en a quarante-trois, et c’est pourquoi elle me hait. » Refusant de vieillir, la comédienne parade en ville aux bras d’un écrivain à succès, Trigorine.
Quand La Mouette débute, Constantin cherche la lumière. Le regard de sa mère et une reconnaissance artistique. Dans une partie du parc qui longe le lac, une estrade a été dressée. Costia doit y présenter son oeuvre théâtrale. Cette forme, qu’il a voulu résolument « nouvelle » , est déclamée par Nina, la fille d’un riche propriétaire terrien. Mais, sa création ne reçoit que sarcasmes.
En quatre actes, deux ans s’écoulent, et ce que Tchekhov nommait « comédie » se fait drame. A l’instar de la mouette que Costia avait tué, Nina s’est fait voler sa vie. Trigorine, par désoeuvrement, a dévasté l’existence de la jeune fille. Quant à Constantin, les quelques nouvelles qu’il a publiées, n’ont même pas été lues par sa mère. Le départ de Nina le renvoie à son néant. Avant de se tuer, la dernière phrase prononcée par Constantin est en direction de sa mère. « Cela pourrait faire de la peine à maman » . Son suicide sera peut-être sa seule possibilité d’atteindre, celle qu’il a aimée « totalement » .
Sur le vif
Ce rapport quasi oedipien entre le fils et sa mère est au coeur de La Mouette, mis en scène par Cyril Teste. Fidèle à son travail rigoureux de performance filmique, la caméra traque, dans le visage des acteurs, les remous intérieurs que les mots provoquent. Sur le vif, dès le début, les images projetées révèlent la quête d’amour du fils et l’indifférence de celle qui l’a engendré. Il parle d’elle mais l’image de sa mère apparait de dos. Le visage de cette femme ne renvoie qu’à elle-même. Echos visibles de son égoïsme, elle est filmée à travers des miroirs, celui d’un poudrier ou d’une psyché.
Le gros plan s’affiche comme le moyen d’interroger l’impuissance des personnages à vivre leurs rêves. Comme un tableau qui n’arriverait pas à exister dans sa totalité, la scénographie (Valérie Grall) privilégie le parcellaire. Une surface blanche sert d’écran principal. Mais, les panneaux carrés, rectangulaires qui la constituent, sont maniés à vue, pour devenir des espaces de projection morcelée. Les visages apparaissent, cadrés au plus près, mais à distance. Détachés, cloisonnés, isolés dans la toile qui ne parvient pas à se construire.
Seule l’image du lac réussit à se déployer sur l’ensemble du tableau. Le paysage au crépuscule ouvre le spectacle. En feu, il traduit le terrible incendie intérieur qui ravage Constantin après l’échec de sa pièce. A la toute fin, les eaux noires du lac accompagnent la dernière rencontre de Nina et Costia, avant sa mort.
L’Acteur au centre du dispositif
Dans Festen, la caméra épiait les acteurs dans leurs retranchements les plus intimes. Elle les suivait, les traquait, empêchant toute fuite, exposant la nécessité de dévoiler l’ignominie aux yeux du spectateur. Images réelles et fantasmées se chevauchaient pour brouiller la perception du réel.
Dans La Mouette, la performance filmique s’organise autour de l’exploration intime des acteurs. Tournée, montée et réalisée en temps réel sous les yeux du public, la captation saisit leurs visages pour capturer l’émotion au plus près. Les prises de vues en direct, sur le plateau et dans le hors champ, opposent le vécu de l’instant et le ressenti. Comme sur les eaux du lac, les remous intérieurs se prolongent au coeur des âmes et se donnent à voir sur les écrans. Sur les toiles blanches que l’on manipule, les éclats de la souffrance sont projetés et ne peuvent être vus que par le spectateur.
Que dire de la scène où Nina déclame le texte de Constantin ? Sinon, quelle est d’une beauté magnifique. Que dire sur le contraste entre le noir et blanc et la couleur, entre les gros plans et le plan séquence de la fin, entre les images du lac et celles des visages ? Sinon, qu’il confère à l’ensemble une poésie indéniable.
Le travail de Cyril Teste et du Collectif MxM est d’une inventivité rare et renforce la clarté du texte de Tchekhov traduit par Olivier Cadiot. Les acteurs (Vincent Berger, Olivia Corsini, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Liza Lapert, Xavier Maly, Pierre Timaitre, Gérald Weingand – tous excellents ) rendent visible avec force et sensibilité, « la musique humaine » qui se cache derrière les mots, ainsi que le disait Stanislavski. ♥♥♥♥♥
La Mouette
Théâtre des Amandiers – Nanterre