Au Théâtre de l’ Épée de bois, L’Affaire Jean Zay, mise en scène par René Albold, fait entendre la voix longtemps oubliée d’un grand républicain qui fut lâchement assassiné par des miliciens en juin 1944.
Jean Zay diffamé comme Dreyfus
Le 27 mai 2015, l’entrée de Jean Zay au Panthéon aux côtés de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, de grandes figures de la Résistance, a remis en lumière ce nom que d’aucuns auraient souhaité voir oublier. La gauche de François Hollande rendait hommage à ce très jeune ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front populaire, mais qu’avait-il fait ?
On redécouvrit alors son action. Il avait instauré l’obligation scolaire jusqu’à quatorze ans, l’éducation physique et la médecine préventive à l’école, avait élaboré le Comité supérieur des Œuvres sociales (Ancêtre du CROUS), avait lancé la Cinémathèque française, avait créé le Festival de Cannes, le Musée de l’Homme, le Musée d’Art moderne, le Palais de la découverte, le CNRS, l’ENA, avait organisé l’Exposition universelle de 1937, avait décidé la rénovation de la Bibliothèque nationale, du Château de Versailles et de la Cathédrale de Reims. Et enfin, il s’était mobilisé contre l’ennemi en 1939 et avait voulu rejoindre les forces de résistance au Maroc.
Arrêté à Casablanca, comme Mendès-France, par le gouvernement de Vichy, en août 1940, Jean Zay est injustement accusé de « désertion en présence de l’ennemi » et condamné à la déportation et à la dégradation militaire, comme l’avait été le Capitaine Dreyfus au siècle précédent. Transféré à Marseille, à la prison militaire du fort Saint-Nicolas, puis incarcéré à la maison d’arrêt de Riom, Jean Zay y reste enfermé jusqu’au 20 juin 1944, date de son lâche assassinat par la Milice française qui jette son corps dénudé au fonds d’une crevasse.
La Dignité des mots
Basée sur les écrits de Zay en captivité, Souvenirs et solitude et Écrits de prison, l’adaptation de René Albold en restitue toute la dignité. Organisée en « flash back » qui reviennent régulièrement à l’instant premier de l’ignominie, le procès, la pièce avance jusqu’aux dernières lignes du journal tenu par le condamné et s’arrête brutalement. Au delà, il n’y aura plus que le silence et la mort annoncée.
La scénographie opte également pour la sobriété. « J’habite une pièce unique, fort nue… Une table, une chaise, un lit... » écrivait Jean Zay à Madeleine, sa femme, le 3 mars 1941. Dans le « Studio » du Théâtre de l’Épée de bois, écrin fermé aux portes closes, la scène au décor minimaliste reproduit les éléments de l’enfermement dans lequel les mots de Jean Zay ont pu naître et tenter de s’affranchir de leur prison. Les lumières nuancent les espaces comme la mise en scène, particulièrement soignée.
Jean Zay est incarné par François Patissier, qui porte avec sensibilité et force la voix et la colère de l’homme diffamé. Sa présence est comme dédoublée par Georges Salmon, à la posture plus altière, qui accompagne de ses regards la temporalité de l’acteur mais ramène également le spectateur à la chronologie historique. En arrière plan, une jeune femme ( Camille Albold) soutient les instants poignants du son de sa guitare électrique.
L’Affaire Jean Zay, mise en scène par René Albold au Théâtre de L’Epée de bois, parvient à faire résonner avec dignité et gravité les mots de Jean Zay injustement condamné, enfermé et assassiné parce qu’il était opposé aux accords de Munich, franc-maçon, d’origine juive, républicain et de gauche. Un hommage de qualité à cet homme d’exception.
L’Affaire Jean Zay jusqu’au 19 janvier Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes
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