Institut Benjamenta mise en scène Bérangère Vantusso
L MM Institut Benjamenta mise en scène Bérangère Vantusso
Benjamenta: Un monde de soumission
Comment en souhaitant être un zéro , un « beau zéro tout rond » peut-on laminer un univers dédié à la soumission et à la courbette? C’est ce que raconte le roman de Robert Walser, écrivain suisse de langue allemande, admiré de son vivant par Franz Kafka, Robert Musil, Walter Benjamin et Thomas Mann. Jacob von Gunten, un jeune garçon, entre de son plein gré dans un pensionnat pour garçons, l’Institut Benjamenta, après avoir quitté sa famille. On y forme de manière autoritaire des futurs majordomes, des êtres destinés à la servilité. Le personnage n’aspire qu’à obéir sans discuter. Pourtant malgré cette soumission appelée, désirée, le regard de Jacob se pose, dès son arrivée, avec lucidité et ironie sur les règles de l’institut. « Pendant la classe, nous autres élèves nous nous tenons immobiles, le regard fixé droit devant nous. Je crois que nous n’avons même pas le droit de moucher notre nez personnel. Nos mains sont posées sur nos genoux et invisibles pendant la leçon. Les mains sont les preuves à cinq doigts de la vanité et de la concupiscence humaines, c’est pourquoi elles restent gentiment cachées sous la table. » Jacob note les détails, les défauts, pose des questions, s’interroge, visite l’extérieur, s’oppose au directeur dans une candeur désarmante et nouvelle
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Manipuler le manipulateur.
Au Théâtre de Sartrouville, Berangère Vantusso, artiste associée au CDN depuis 2013 et la nomination de Sylvain Maurice, met en scène une adaptation du roman de Robert Walser en confiant à la marionnette, figure idéale de la manipulation, le rôle, à la fois, de concrétiser la soumission et celui d’amorcer une réflexion sur le libre arbitre. Car les marionnettes identiques, hyperréalistes, à taille quasi humaine, s’animent sous l’action des « manipulateurs » mais ceux-ci n’ont de sens que parce qu’ils les manipulent. Tronquées au niveau du buste, elles rappellent les êtres sectionnés du réel du peintre flamand Mickaël Borremans.
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Peintures du Michael BORREMANS
Le corps mobile des acteurs prolonge celui inerte des marionnettes. Leurs jambes deviennent leurs jambes. Visuellement. Concrètement. La frontière entre le manipulateur et le manipulé s’estompe, au point même, dans certains tableaux, de bousculer les places et les statuts. La vraie réussite de Berangère Vantusso et de la Compagnie trois six trente est là.
Le rêve comme Échappatoire
Très vite, l’imaginaire infiltre le réel, le modifie. Les rêves de Jacob perturbent le plateau. Est-ce pour échapper à l’univers sans âme qui emprisonne les êtres dans la servilité? Ou est-ce pour échapper au désir latent et prégnant du directeur ? Rêve et fantasme s’affrontent bientôt. Jacob, la marionnette, se multiplie, prend tout l’espace, comme elle envahit l’esprit du directeur. Le lieu se désagrège, balayé par le désir noir de l’homme pour l’enfant. Les marionnettes éclatées dans l’espace sont remisées dans leurs petites boites, cercueils froids et tristes. Reste un désert. Une scène nettoyée. Présences hors plateau. Image finale qui convoque encore une fois le rêve et son cortège de malaise.
Le travail de la Compagnie trois six trente autour de la manipulation acteur/marionnette et d’un réel fantasmé séduit et intéresse. Cependant, on regrettera que la deuxième partie du spectacle manque de rythme et présente des longueurs.
Pour découvrir l’univers de Michael Borremans
http://www.zeno-x.com/artists/MB/michael_borremans.html
Pour découvrir l’adaptation cinématographique étonnante du roman de Robert Walser par les Brothers Quay.
https://www.youtube.com/watch?v=tIjWWZZq00k