Au Théâtre de l’Odéon, Orlando, le roman de Virginia Woolf, est porté à l’écran en direct sur le plateau. La mise en scène millimétrée de Katie Mitchell et la prouesse technique sidèrent, mais tiennent le jeu à distance.
Orlando, l’aimable androgyne
Orlando est d’abord une fable. Le roman pastiche, écrit par Virginia Woolf en 1928, dont l’histoire « tourne autour » de la figure flamboyante de Vita Sackville-West, l’amante de Virginia Woolf . Conçu comme une biographie facétieuse, celui-ci retrace la vie d’un aristocrate, qui, après trente ans dans la peau d’un homme, se réveille dans le corps d’une femme.
La métamorphose s’effectue de façon si « indolore », si « complète et si réussie », que le personnage n’en est pas surpris. En changeant de sexe, il a changé sans doute d’avenir, mais non de personnalité. Par convention, le pronom « elle » remplace aussitôt le pronom « il ». « Elle pouvait donc, dans son souvenir, remonter sans obstacle tout le cours de sa vie passée. » Traversant les siècles, de la cour d’Elisabeth Ier au début du XIXe, sans véritablement vieillir, Orlando est un être aimable mais complexe. « Elle était homme, elle était femme; elle connaissait les secrets, partageait les faiblesses des deux camps. » Androgyne aux multiples facettes, le personnage se nourrit du passé, du présent, de son aspiration à la vie, de son désir d’unité et de sa quête de gloire à travers l’écriture.
Un film en direct
Le parti-pris scénique et dramaturgique de Katie Mitchell est radical. Le plateau n’est plus une aire de jeu où l’acteur évolue et parle dans un rapport immédiat et frontal avec le spectateur. Les comédiens s’adressent aux caméras qui les filment tandis que le montage des images se fait quasiment en direct. Un « storyboard » extrêmement rigoureux a été travaillé en amont. Celui-ci permet aux acteurs, aux assistants-son, aux cameramen, aux accessoiristes, de réaliser ce qui est projeté en « live » sur l’écran. Les scènes comme les plans s’enchaînent créant l’illusion d’un film déjà monté, fini, produit, alors qu’il est en train de se faire. La prouesse technique sidère. D’autant que l’esthétique est soignée et le cadrage précis.
Revers de la médaille, la technicité de la réalisation éloigne le spectateur du vivant. Sur le plateau, les artistes courent après le scénario. Le « cut » devient le maître du jeu. Le regard, désespéré que le plateau ne soit plus qu’un moyen de soutenir une gageure technique, ne se porte plus que sur l’écran. L’implication des comédiens de la Schauühne n’est pas en cause. Jenny König (Orlando) est notamment remarquable ainsi que Konrad Singer. On regrette aussi que la narration biographique, assurée elle-aussi en direct, se fasse en allemand. La musicalité de l’écriture de Virginia Woolf y perd.
♥♥♥♡♡
ODÉON Jusqu’au 29 septembre
de Virginia Woolf
mise en scène Katie Mitchell
en allemand, surtitré en français
avec Ilknur Bahadir, Philip Dechamps, Cathlen Gawlich, Carolin Haupt, Jenny König, Alessa Llinares, Isabelle Redfern, Konrad Singer Aubert
et caméras Nadja Krüger et Sebastian Pircher
perchiste Kessisoglou
adaptation Alice Birch
traduction Gerhild Steinbuch
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