Madeleine aux pieds du Christ de Caldara – René Jacobs

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En cette période de célébration de Pâques qui marque, pour les chrétiens, la résurrection de Jésus Christ, la Philharmonie de Paris laisse entendre l’oratorio Madeleine aux pieds du Christ d’Antonio Caldara, sublimement interprété par le Freiburger Barockorchester sous la conduite du chef d’orchestre René Jacobs, au summum de son art.

Madeleine aux pieds du Christ

Un auteur prolifique et néanmoins méconnu

Si le nom de ses contemporains italiens de la période baroque, Vivaldi, Corelli ou Scarlatti, est évocateur de célèbres concertos, oratorios ou sonates, celui de Caldara (Venise 1670 – Vienne, 1736) reste, quant à lui, limité à un public averti. Son abondante production musicale demeure très largement méconnue.

Caldara a pourtant été considéré au XVIIIème siècle comme le plus grand compositeur italien avec une œuvre riche de plus de 3 000 compositions. On y trouve de la musique religieuse (des messes, cantates, motets et oratorios), instrumentale (des symphonies et sonates) et lyrique (des opéras, madrigaux, et canons). On estime aujourd’hui qu’Antonio Caldara aurait, de son vivant, influencé Jean-Sébastien Bach ou bien Telemann, et marqué de son empreinte l’école de Mannheim, dont le rôle fut si déterminant dans l’évolution musicale, qui allait conduire du baroque tardif au classicisme viennois, avec Haydn et Mozart et, plus tard, au romantisme.

C’est dans les années 1690, durant lesquelles Caldara exercera à la basilique Saint-Marc, en tant que violoncelliste intermittent, qu’il composera plusieurs oratorios. Ces compositions répondent à des commandes passées pour différentes églises de Venise : la Fava, la Pietà ou La Santa Maria della Consolazione, l’église des pères de l’Oratoire. C’est pour cette dernière que fut créée aux alentours de 1700 Madeleine aux pieds du Christ. Cette œuvre refera ensuite surface en 1713, à la chapelle impériale de Vienne, où Caldara ambitionnait de devenir Kappelmeister impérial.

A partir de 1707, Caldara fera, en effet, de nombreux voyages en Italie et à l’étranger où il rencontrera Corelli, ainsi que Haendel. Il sera appelé à Barcelone par l’empereur Charles VI de Habsbourg, le père de Marie-Thérèse, qu’il accompagnera à Vienne. Puis, il séjournera à Bologne puis à Rome où il sera maître de chapelle du marquis Francesco Maria Ruspoli.  En 1716, Antonio Caldara s’établira définitivement à Vienne, en tant que vice-maître de chapelle, à la cour impériale.

Les tourments d’un choix cornélien

Le livret de Madeleine aux pieds du Christ aurait pour source un livret mis en musique et présenté en 1690 à Modène par Bononcini. Celui-ci fut repris par le librettiste Bernardo Sandrinelli à partir d’un texte original de Lodovico Forni. Il sera retravaillé par Caldara en le réduisant de 47 à 33 arias et ensembles, un nombre hautement symbolique, avec réécriture du texte de 16 de ces arias. A la manière d’un opéra sacré, il enrichira également le livret de fortes interactions entre les personnages, incarnés par les 6 chanteurs. Au livret initial fondé sur l’Évangile de Luc, sera ajouté le personnage de Marthe, disciple de Jésus-Christ comme sa sœur Marie de Magdala, et de Lazare qui, lui aussi, ressuscitera.

Le livret a pour argument un cruel dilemme : le choix que doit faire Madeleine entre la voie du Bien et celle du Mal, entre la grâce et les plaisirs terrestres, respectivement incarnés par les deux personnages allégoriques Amor Celeste et Amor Terreno. Lesquels se disputent le contrôle de son âme et causent son tourment. Dès la première partie, Madeleine optera pour le Bien. Sous les accusations du Pharisien, qui fait grief à Madeleine de voir en Jésus le Messie, son passé la rattrapera cependant dans la seconde partie. Mais, après le repentir de Madeleine, l’amour et la miséricorde finiront par triompher.

Plus connue sous le nom de Marie-Madeleine ou Marie de Magdala dans les Évangiles, elle suit Jésus jusqu’à ses derniers jours et assiste à sa résurrection. Madeleine est dans l’Évangile selon Jean, la première personne à avoir vu Jésus après sa résurrection et à en avoir averti les apôtres. Ce qui lui vaudra parfois l’appellation d’ « apôtre des apôtres ». L’Église de Rome considérera, à partir du VIème siècle et jusqu’à Vatican II, en 1965, que Marie de Magdala ne faisait qu’une avec Marie de Béthanie, ainsi qu’avec la pécheresse qui oindra le Christ de parfum. Les églises catholique, orthodoxe et protestante font aujourd’hui la différence entre ces personnages. L’Évangile apocryphe de Philippe suggère, lui, que Madeleine était la compagne de Jésus et rapporte qu’il l’embrassait sur la bouche. Pour lui communiquer le souffle de l’Esprit ?

Dans l’oeuvre de Caldara, Madeleine fait figure de pécheresse et la dispute entre Amor Celeste et Amor Terreno prend la forme d’un combat singulier, que souligne la puissance évocatrice du texte, tout autant que la partition musicale.

Madeleine aux pieds du Christ : une subtile alchimie musicale

Avec 61 pièces, la partition de la Maddalena d’Antonio Caldara répond à une structure musicale rigoureuse fondée sur l’aria de da capo, avec alternance d’arias pour voix et continuo, encadrées par des ritournelles instrumentales,  et de ripienos exécutés par l’ensemble des instruments : 8 violons, 4 altos, 2 violoncelles, 1 basse de violon, 1 violone, 1 viole de gambe, 1 basson, 1 harpe, 1 théorbe ou 1 guitare, 2 orgues et 1 clavecin.

La force symbolique des lignes mélodiques appuyée par la puissance suggestive des arias et les choix instrumentaux judicieux soulignent les états d’âme de Madeleine et traduisent le génie musical d’Antonio Caldara. Son contemporain Johann Mattheson avait justement exprimé que Caldara possédait, comme Haendel et Vivaldi, le Prêtre Roux, « une grande connaissance des sentiments humains et des émotions ». Ainsi, l’aria n°37 « In lagrime stemprato » joué par les altos et la basse sur un rythme obstiné figure l’écoulement continu des larmes de Madeleine et la charge mentale éprouvée. Dans l’aria n°2 « Dormi, o cara », le schéma descendant de la basse obstinée accompagne son endormissement. Admirable également le duo concertant entre la voix de Madeleine et la viole de gambe qui développe cantilènes et arpèges pour soutenir sa ferme résolution de se dépouiller d’attaches futiles, dans l’air n°18 « Pompe inutili » : « Parures sans valeur Qui rendez si vaniteux N’espèrez pas torturer mon coeur plus longtemps Abaissez vos yeux viles de péché ! » Saluons aussi la belle performance de Petra Müllejans, concert master, pleine d’allant qui, dans des duos enfiévrés avec une autre violoniste, toutes deux se déplaceront pour la circonstance aux côtés de Madeleine et de Marthe, donne véritablement à entendre et à voir un duel d’arpèges acharné.

Parmi les six interprètes de la Madeleine aux pieds du Christ, tous excellents, une mention spéciale peut être décernée à Helena Rasker, qui avec sa voix de contralto profonde, incarne avec justesse et passion la furie d’Amor Terreno, faisant vivre ce personnage tout autant par le chant que par un jeu théâtral abouti, Marianne Beat Kielland, mezzo-soprano, qui campe le personnage de Marthe, avec une voix chaude et poignante de sincérité et Johannes Weisser, baryton, doté d’une voix puissante, qui sied à la ferveur et à l’intransigeance du Pharisien.

René Jacobs livre une version pleine de finesse et de subtilité de la Madeleine aux pieds du Christ de Caldara, avec en premier lieu, le choix très opportun du Freiburger Barockorchester (FBO), ensemble d’instruments anciens, qui depuis trente ans occupe les devants de la scène musicale internationale avec un répertoire centré sur la musique baroque. Le lien qui unit de longue date René Jacobs avec le FBO est palpable sur scène, tant le chef d’orchestre semble nourrir de complicité et d’empathie pour chaque musicien, qui le lui rend bien. René Jacobs dirige les musiciens avec calme et assurance, par un geste précis et mesuré. Point de grandes effusions malgré l’exaltation des sentiments que porte l’œuvre. Une belle harmonie dont témoigne notamment le dernier accord de l’oratorio qui s’élève vers le ciel et s’y maintient en point d’orgue, à la manière d’une réponse des hommes à la question existentielle qui agite Madeleine.


Une sublime interprétation de la Madeleine aux pieds du Christ d’Antonio Caldara qui, par la grâce de René Jacobs, du Freiburger Barockorchester et des six artistes lyriques, offre à vivre, l’espace d’une soirée à la Philharmonie de Paris, un moment de paix et d’harmonie.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Édouard Garnier

Madeleine aux pieds du Christ

Philharmonie de Paris

Freiburger Barockorchester
René Jacobs, direction
Joshua Ellicott, Christo
Giulia Semenzato, Maddalena
Marianne Beate Kielland, Marta
Alberto Miguélez Rouco, Amor Celeste
Helena Rasker, Amor terreno
Johannes Weisser, Fariseo

 


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