Le Monte-plats,
la cuisine de la violence
Drame en un acte, “The dumb-waiter”, ‘’Le Monte-plats”, écrit par Harold Pinter en 1957, place, dans un espace clos, oppressant, deux tueurs à gages de bas étage qui se morfondent en espérant leur prochain contrat. Pièce de l’attente, celle-ci relève moins du Théâtre de l’absurde que d’une mise en situation d’une violence larvée prête à anéantir ceux qui la vivent.
Enfermés dans une planque sans fenêtre, le sous-sol d’un grand restaurant désaffecté, Ben, un être primaire qui se croit intelligent parce qu’il s’occupe en lisant les faits divers du journal et, Gus, un angoissé un peu simplet qui parle trop, s’affrontent sur des banalités avant que le plus conformiste n’élimine celui qui avait osé mettre en doute les ordres transmis par le monte-plats qui, étrangement, avait repris du service.
Les paroles ne sont en fait que des leurres. Sans consistances, vidées de tout intérêt, elles remplissent le silence de leur ennui épais. Mais, leur vacuité même devient le révélateur d’une tension qui ne cesse de croître jusqu’au ridicule final : un tueur à gages liquide un autre tueur à gages.
Acteurs dans le miroir
Au Lucernaire, Etienne Launay met en scène la pièce de Pinter en imaginant un dispositif orignal : dédoubler le couple de tueurs à gages et traiter en miroir les entrées et sorties – nombreuses – des personnages. Quatre acteurs (Benjamin Kühn, Simon Larvaron, Bob Levasseur, Mathias Minne ), tous impécables, partagent donc le même espace temps mais en évoluant sur un plateau divisé en deux parties. Deux couples, un même univers. Une même urgence à ne rien parvenir à faire.
Ce dispositif a deux vertus. La première: ce chassé-croisé nerveux dynamise l’intérêt du spectateur que le sujet de la pièce, ( il faut bien l’avouer) ne soutient plus. La seconde, qui surprend le plus : réaffirmer l’absolue importance de l’acteur, du corps de l’acteur, de sa voix, de son épaisseur, de ce qu’il apporte d’unique dans le rôle qui lui est confié. En regardant ces deux « Ben », ces deux « Gus », arpenter la scène et défendre le même personnage, on est saisi par ce qu’on oublie trop souvent, combien la dimension charnelle du comédien remplit les virtualités du texte théâtral et combien cette incarnation singulière n’est semblable à aucune autre.
M La Scène avait pu apprécier le jeu d’Etienne Launay, justement récompensé par le prix d’interprétation du Festival d’Anjou en 2017 pour son rôle d’Arlequin dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard, monté par Salomé Villiers. Sa mise en scène de la pièce de Pinter, Le Monte-plats, convainc et séduit.
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