La Cerisaie mise en scène Tiago Rodrigues
Tiago Rodrigues crée La Cerisaie de Tchekhov dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes et s’empare du lieu pour lui donner toute sa puissance évocatrice. Loin de la nostalgie, le théâtre donne à voir le mouvement inexorable du changement.
« Vivre ce qui n’a jamais été vécu »
Pièce canonique du répertoire, La Cerisaie d’Anton Tchekhov, met en scène une famille d’aristocrates russes ruinés. Faute d’argent, la mère Lioubov, et la fille, Anya, qui étaient notamment à Paris retrouvent la maison natale maternelle. Rien ne semble avoir changé. Pourtant, les dettes s’accumulent et la vente de la cerisaie paraît inéluctable. C’est finalement, un ancien « moujik », Lopakhine, qui achète le domaine et rase le verger. Un monde chasse l’autre.
Le plateau, éclairé par les lumières de Nuno Meira, devient aussi un lieu de mutations et de luttes. Des chaises, alignées, plantées comme les arbres de la cerisaie, embarrassent au début le passage des acteurs. Symbole facétieux des changements qui se sont déjà produits dans ce lieu prestigieux d’Avignon, ce sont les anciennes chaises de la Cour d’Honneur. Malmenées, jetées en tas ou lancées sur le sol avec violence, lorsque la cerisaie change de maître, ces objets deviennent l’image d’un monde laminé dont on fait table rase. Eléments centraux de la scénographie (Fernando Ribeiro) – comme les très beaux arbres-lustres- ces sièges, désormais inutiles, illustrent la fin brutale du monde d’avant. La scène nue peut alors accueillir les inquiétudes mais aussi les espérances de ceux qui veulent « vivre ce qui n’a jamais été vécu ».
Une distribution étonnante
La distribution étonne. Des acteurs d’âges, de pays et de pratiques différents ont été volontairement choisis. Tiago Rodrigues a confié à Isabelle Huppert le rôle de la fantasque Lioubov. Elle porte ce personnage complexe avec une énergie impressionnante. Et ce malgré les conditions météorologiques difficiles – une pluie battante- contre lesquelles il fallait se battre ce soir-là. Tour à tour, enfantine et joyeuse, puis, dans l’instant, mélancolique ou dévastée par la culpabilité, Isabelle Huppert porte le personnage avec une grande liberté. Sans tomber dans des aspects trop attendus. C’est un enchantement de se laisser surprendre par son jeu impromptu.
A ses côtés se détache Adama Diop, très convainquant dans le rôle de Lopakhine. Lorsque l’ancien « moujik », l’ancien serf, devenu propriétaire de la cerisaie parle de l’esclavage de son père et de revanche. La phrase ne peut que faire mouche. On retiendra également la présence incroyable de Marcel Bozonnet qui incarne Firs, le vieux domestique. Accompagnés par la musique de Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves jouée en direct sur scène, les comédiens semblent parfois happés par une transe hypnotique et entrer dans un temps suspendu qui échappe au réel.
La mise en scène de Tiago Rodrigues dans la Cour d’honneur du Palais des Papes surprend et convainc par sa grande force évocatrice. ♥♥♥♥♡
LA CERISAIE
Lisbonne – Avignon / Création 2021
Avec Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Cairaty, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence
Et Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves (musiciens)
Texte Anton Tchekhov
Traduction André Markowicz et Françoise Morvan
Traduction en anglais pour le surtitrage Panthéa
Mise en scène Tiago Rodrigues
Collaboration artistique Magda Bizarro
Scénographie Fernando Ribeiro
Lumière Nuno Meira
Costumes José António Tenente
Maquillage, coiffure Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo
Musique Hélder Goncalves (composition), Tiago Rodrigues (paroles)
Son Pedro Costa
Assistanat à la mise en scène Ilyas Mettioui