Critique Phèdre
Mise en scène Georges Lavaudant
A l’Athénée Théâtre, Georges Lavaudant propose une version du Phèdre de Sénèque qui touche à l’épure.
La Mécanique implacable
Phèdre est maudite. La faute du père rejaillit sur la fille. Minos avait tenté de duper Poséidon. En représailles, le dieu des mers jette un sort sur Pasiphaé, la femme du roi de Crète. Celle-ci succombe à un amour monstrueux. Elle s’accouple avec un taureau. De cette union hors-norme, naît le Minotaure, un être hybride, qui dévore les jeunes athéniens qu’on lui livre.
Thésée parvient à tuer la bête, au sein du labyrinthe, où elle était recluse. C’est lui que Phèdre épouse. Le roi d’Athènes a déjà eu un fils avec Antiope, une Amazone. De sa mère, Hippolyte a gardé l’âme farouche. Il rêve d’un royaume où seule la nature prévaudrait. Un territoire de chasse où les vices du pouvoir et l’appât du gain seraient absents. Il voue un culte à Artémis, la déesse de la chasse. Aphrodite, jalouse qu’un jeune homme si beau ne l’idolâtre pas, se venge. Phèdre subira les affres d’une passion incestueuse, en aimant et désirant son presque fils, Hippolyte.
La mise en scène de Georges Lavaudant prend appui sur la nouvelle traduction de Frédérique Boyer. Cette adaptation fait entendre la poésie et la « furor » qui irriguent le texte de Sénèque, philosophe et dramaturge latin du Ier siècle après JC. Ainsi que l’indique Georges Lavaudant, Astrid Bas, qui joue Phèdre, « est tombée amoureuse de ce texte » . « Comme une horloge qu’on a remontée, le « fatum » est déjà là, dès les premiers vers, et c’est inarrêtable. » . Cinq personnages habitent le plateau, tandis que le chœur n’existe que par des paroles projetées au lointain. La forme resserrée choisie par le metteur en scène renforce la mécanique implacable de la tragédie.
Dompter les chevaux sauvages
C’est sur des chants d’oiseaux que s’ouvre la scène. Entre Hippolyte. La plastique parfaite de Maxime Taffanel, qui incarne le jeune homme assoiffé de nature sauvage, sert le personnage. Quasi nu, face public, il est celui qui part à l’assaut des forêts noires. Seul son petit short informe, à la Tarzan, peu seyant, est discutable. Sur le cyclorama, au lointain, se dessinent les silhouettes découpées de créatures mi-hommes, mi-bêtes. Les dieux veillent, observent et manipulent. Leurs ombres portées gigantesques dansent, se jouant du destin des hommes. Georges Lavaudant poursuit, à ce titre, son long compagnonnage avec le chorégraphe, Jean-Claude Gallotta.
Le mouvement œuvre à offrir une autre perception des corps. Entre élan et retenue, entre désir et contrainte, Georges Lavaudant dit avoir traité les personnages comme « des figures, des images dont on a l’impression qu’elles ne peuvent jamais totalement s’abandonner » . Au seuil « de la sensualité, du dévergondage » , il a « retenu les chevaux pour que tout-à-coup, ce soit à nouveau la parole qui prenne le dessus. » Le jeu d’Astrid Bas (Phèdre) face à Maxime Taffanel (Hippolyte) éclaire parfaitement cette tension entre l’impulsion vers l’autre et le refoulement de la passion. Les corps sont au plus près, mais, Phèdre sur le fil, au bord du précipice, sait qu’un geste de trop vers celui qu’elle aime, pourrait rompre cette intime proximité. Tant que l’aveu n’a pas été encore prononcé, tout pourrait être possible.
Cette tenue des corps trouve son acmé dans le monologue d’Aurélien Recoing ( impressionnant) qui incarne Thésée. Le jeu épuré, tout en intériorité, du comédien évoque celui d’un acteur du théâtre nô. La souffrance du personnage nous parvient pourtant très fortement. Georges Lavaudant dit avoir voulu mettre ce personnage « en bordure du théâtre » . Il s’agit de la recherche d’un « théâtre immobile, quasi rituel. » On pourra regretter que le récit du messager n’ait pas la même force dans l’incarnation et qu’il en devienne trop statique.
Georges Lavaudant met en scène Phèdre de Sénèque et revendique de jouer le poème plus que la pièce. L’épure est au service de la parole.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Phèdre
du 12 au 22 octobre 2023
- Texte Sénèque
- Traduction Frédéric Boyer
- Mise en scène Georges Lavaudant
- Phèdre Astrid Bas
- la Nourrice Bénédicte Guilbert
- Thésée Aurélien Recoing
- Hippolyte Maxime Taffanel
- le Messager Mathurin Voltz
- Lumières Georges Lavaudant & Cristobal Castillo-Mora
- Régisseur général Nicolas Natarianni
- Régisseur son Jean-Louis Imbert
- Habilleuse Nathalie Damville
- Compagnie LG théâtre
Phèdre de Sénèque, dans la traduction de Frédéric Boyer, publiée aux éditons Actes Sud papiers.
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