Critique Les Paravents

mise en scène Arthur Nauziciel

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Les paravents Jen Genet
© Philippe Chancel

A l’Odéon, Arthur Nauzyciel présente Les Paravents, créé en 2023, au Théâtre National de Bretagne. La scénographie grandiose et la mise en scène audacieuse impressionnent. Des coupes, plus larges, cependant, dans le texte de Jean Genet, n’auraient pas été inutiles pour en gommer certains aspects répétitifs.


Les entretiens de M La Scène : Arthur Nauzyciel, metteur en sène

Je dis. Et le monde devient autre. 

A n’en pas douter, Les Paravents de Jean Genet reste une pièce mythique. Publiée en 1961 et créée en 1966 à l’Odéon, sous la direction de Roger Blin, elle fait scandale. La multiplicité des lieux, la pléthore des personnages ( plus de cent ) déroutent. Le contexte algérien et politique, l’irrévérence qui tire à tous les étages, la crudité du langage, choquent. Ainsi que l’écrivait Bertrand Poirot-Delpech, « dans les milieux d’extrême droite proches de l’OAS,  ‘l’armée y était bafouée’, selon l’expression employée dans ces groupuscules ».  La scène, où des soldats français rendent hommage à leur supérieur agonisant, en pétant, ne passait pas.

La pièce met en scène des prostituées, des colons, des militaires et des algériens combattants ou non, avec en toile de fond la guerre. Mais, le titre, Les Paravents, donné par Jean Genet, révèle que l’intention de l’auteur était moins politique, que théâtrale et poétique. Les paravents étaient des éléments forts de la scénographie. Les acteurs devaient inscrire les lieux traversés ou dessiner les objets maniés, sur ces toiles, tout en jouant. Comme dans le théâtre baroque, les paravents interdisaient tout réalisme. Ils marquaient, de plus,  matériellement le passage entre le monde des vivants et celui des morts, à l’instar du Styx dans la mythologie grecque.

Les Paravents est avant tout une ode à ceux qui sont morts. Une invitation à traverser l’espace qui nous en sépare pour les rejoindre, et rire du malheur. Ainsi que la mère de Saïd l’énonce dans le tableau final : « Je suis le Rire, mais pas n’importe lequel : celui qui apparaît quand tout va mal » . Dans Les Paravents, le sordide côtoie l’élégie. Mais, dès la première réplique, la force performative et poétique du langage au théâtre est revendiquée par Genet. « Rose ! Je vous dis rose ! Le ciel est déjà rose. » Je dis . Et le monde devient autre.

Les paravents : un rêve peuplé de créatures étranges

La mise en scène d’Arthur Nauzyciel frappe par son audace et sa force visuelle. Un gigantesque escalier blanc occupe tout l’espace scénique et monte jusqu’aux cintres. Ces marches, qui relient l’infiniment grand à la bassesse des hommes, témoignent de la lutte qu’ils livrent pour échapper à leur condition et à leur fin tragique. Pendant les quatre heures de représentation, les personnages n’auront de cesse de descendre, de tenter de s’élever, de gravir l’obstacle, de s’y arrêter, comme prisonniers, suspendus, dans un espace ouaté qui n’a plus rien de réel.

En début de seconde partie, la réalité est, cependant, convoquée. Arthur Nauzyciel choisit de s’écarter du texte de Genet. Il projette un court film sur écran. Un homme, assis, dos à sa bibliothèque, lit des lettres qu’il avait adressées à ses parents. Il s’agit du propre cousin du metteur en scène, qui était alors, un jeune appelé étudiant en médecine à Tiemcen, en Algérie, de 1957 à 1959. La caméra fixe son visage, s’attache à sa main, tandis qu’il poursuit sa lecture. Parfois, en captant son silence, l’éclat de son regard, ou l’un de ses commentaires fugaces, la caméra témoigne des images d’horreur encore vivaces dans sa mémoire. Celles d’hommes torturés. Celles d’hommes assassinés, attachés aux pieds des poteaux électriques qu’ils avaient détruits. Un homme par poteau.

A l’exception de cet épisode, tout semble relever d’un rêve peuplé de créatures étranges. Les comédiens grimés, les yeux cerclés de noir, ressemblent à des morts en sursis. Leurs mains, comme leurs pieds, sont parfois peints. La silhouette de Warda, (Farida Rahouadj) tout d’or vêtue, évoque celle d’une déesse à coiffe. Telle une Isis, elle trône sur le bordel comme sur l’escalier. La gestuelle des comédiens, que la danse vient nourrir et augmenter, contribue à construire l’idée d’un univers irréel saisissant. Marie-Sophie Ferdane ou Hinda Abdelaoui, évoluent comme des êtres hybrides, mi-humaines, mi-animales. Leurs présences magnétiques captent le regard. Toute la troupe serait à citer tant la synergie entre les comédiens est profonde. Il est d’autant plus dommageable que des coupes plus sévères dans le texte de Genet n’aient pas été faites. La force de l’ensemble en aurait été décuplée.

Les Paravents, mis en scène par Arthur Nauzyciel, frappe par sa puissance visuelle et son absolue maîtrise. Comme dans un rêve ouaté, le burlesque côtoie le sublime.

Les LM de M La Scène : MMMMM


Les Paravents

Odéon -Théâtre de l’Europe

31 mai – 19 juin

de Jean Genet
mise en scène Arthur Nauzyciel

avec Hinda Abdelaoui, Zbeida Belhajamor, Mohamed Bouadla, Aymen Bouchou, Océane Caïraty, Marie-Sophie Ferdane, Xavier Gallais, Hammou Graïa, Romain Gy, Jan Hammenecker, Brahim Koutari, Benicia Makengele, Mounir Margoum, Farida Rahouadj, Maxime Thébault, Catherine Vuillez et la voix de Frédéric Pierrot

assistanat à la mise en scène Constance de Saint RemyThéo Heugebaert
dramaturgie Leila Adham
travail chorégraphique Damien Jalet
lumières Scott Zielinski
scénographie et accessoires Riccardo Hernández
avec la collaboration de Léa Tubiana
sculpture Alain Burkhart
assistanat sculpture Jeanne Leblon Delienne
son Xavier Jacquot
vidéo Pierre-Alain Giraud
costumes, maquillages, coiffures et peinture des djellabas José Lévy
assistanat costumes Marion Régnier
coiffures et maquillages Agnès Dupoirie

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