Critique Le Spleen de l’ange

mise en scèneJohanny Bert

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le spleen de l'ange
© Christophe Raynaud de Lage

Dans Le Spleen de l’ange, Johanny Bert invente le voyage poétique d’un ange en quête d’humanité. Touchant, d’une grande délicatesse, le spectacle ravit.

Un « esprit gémissant en proie aux longs ennuis »

Le spectacle s’ouvre, en  voix off, sur un extrait d’entretien de Wim Webders. Le réalisateur du film « Les Ailes du désir » , interrogé par Charles Daney, évoque la prière qu’il faisait chaque soir, étant enfant, à ses « six petits anges »  placés autour de lui. Wim Wenders indique qu’il avait pitié d’eux. Condamnés à veiller pour toujours sur les hommes et à chanter, le fait qu’ils soient prisonniers de l’éternité, lui semblait plus terrible que la mort. A contrario, dit-il, l’homme peut vivre chaque jour comme si c’était un nouveau. Il possède le merveilleux privilège de faire « ses expériences » et de les réinventer s’il le souhaite.

Le Spleen de l’ange de Johanny Bert déploie cette idée sur scène. L’ange, qui apparaît des cintres, est une créature baudelairienne, un « esprit gémissant en proie aux longs ennuis » . L’éternité n’est plus que souffrance pour lui. En quête d’humanité, la marionnette, composée d’une tête chauve et d’un corps aux contours flous, convoite la vie expérimentée sur terre, même si celle-ci a le goût des larmes. Tout plutôt que l’ennui. Tout plutôt qu’un sinistre drapeau noir planté à jamais sur l’Espoir.

L’ange n’ignore rien du vécu tragique des hommes. A un moment, la marionnette manipule une urne d’où s’échappent les cendres de l’Histoire. Des voix, des sons, rappellent la réalité des guerres et des génocides. Mais, ces éclats terribles se transforment en ciel parsemé de taches lumineuses.

Expérimenter l’humaine condition

La détermination de l’ange à connaître les sensations humaines est touchante et souvent cocasse. La créature imagine toutes sortes de moyens pour arracher ses ailes qui l’empêchent de marcher. Elle les coupe, les scie, se mutile devant nos yeux. Mais,  elles repoussent inexorablement. L’ange, alors, désespéré, se résout au suicide. La marionnette essaie l’asphyxie, l’électrification, l’écartèlement. Le spectateur, témoin de ses multiples tentatives, est pris entre le rire et la pitié. Voire la sidération, quand une pierre reliée à une corde lui fracasse la tête, en direct. Des éclats de plâtre fusent sur le plateau. 

Manipulée par Johanny Bert et Klore Desbenoit, la marionnette va petit à petit déposer sa peau d’ange. Toute entière tendue à acquérir la chair et le sang qui lui permettront de vivre, elle se métamorphose en douceur. Frôler la terre, sentir sa finitude, ces mots d’ordre projetés en lettres capitales en haut de la boite noire, sont autant d’injonctions personnelles qui balisent sa quête de transformation. Celle-ci est nourrie de belles images. C’est en respirant l’odeur d’un coquelicot sous un globe de verre, que la créature se dote de mains en pavot rouge. Sa mutation risquée aura lieu sous nos yeux de façon quasi magique. Et aboutira à un joli moment que nous ne dévoilerons pas. 

 

Spleen de l'ange

Le Spleen de l’ange de Johanny Bert est un spectacle séduisant et poétique. Les chansons délicates qu’interprètent en direct Johanny Bert ou les musiciens Marion Lhoutellier, Guillaume Bongiraud et Cyrille Froger, présents sur le plateau, confèrent à l’ensemble, un indéniable charme. Voir cet ange fragile en quête d’humanité incite à devenir meilleur.

Les LM de M la Scène : LMMMMM


Le Spleen de l’ange

Théâtre de la Ville – Les Abbesses

15-26 oct. 2024

Mise en scène, scénographie, lumières, interprétation Johanny Bert

Composition et arrangements Marion Lhoutellier, Guillaume Bongiraud, Cyrille Froger
Regards extérieurs Jonas Coutancier
Dramaturgie Olivia Burton
Auteurs-compositeurs des chansons originales Bérangère Jannelle, Laurent Madiot, Alexis Morel, Yumma Ornelle, Prunella Rivière
Création costumes Irène Jolivard, Pétronille Salomé
Création masques Alexandra Leseur-Lecoq, Loic Nebreda, Pétronille Salomé
Création lumières Gautier Le Goff
Création sonore Simon Muller
Construction marionnettes Amélie Madeline
Construction accessoires et effets magiques : Jonas Coutancier, Klore Desbenoît, Luc Imberdis, Maxence Moulin, Florimond Plantier, Franck Rarog, Gilles Richard, Magali Rousseau

Avec Johanny Bert
les musiciens Marion Lhoutellier violon et instruments électroniques, Guillaume Bongiraud violoncelle et instruments électroniques, Cyrille Froger percussions et claviers
la manipulatrice Klore Desbenoit

Voix off au début du spectacle Wim Wenders à propos de son film Les Ailes du désir


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