Critique La Mouette

mise en scène Stéphane Braunschweig

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la mouette
© Simon Gosselin

A l’Odéon, Stéphane Braunschweig présente sa dernière création La Mouette d’Anton Tchekhov, comme un écho à Oncle Vania, monté en 2020. Par un renversement scénographique original, la pièce questionne le regard qu’une jeunesse peut poser sur un monde délaissé par la génération précédente. 

Vol au-dessus d’un champ de ruines

Quel est le sujet dans La Mouette ? Tchekhov disait que, comme dans la vie, où tout est mélangé, il n’y en avait pas besoin. Pourtant, cette comédie amère prend pour centre, Konstantin Treplev. Le jeune artiste, en quête de « formes nouvelles » , vit reclus dans la demeure de son oncle Sorine, près d’un lac. Sa mère, Arkadina, une actrice célèbre le délaisse pour mener une vie mondaine à Moscou. Elle parade aux bras de Trigorine, un écrivain reconnu. Konstantin souffre du mépris et de la froideur de sa mère. Celle-ci rejette son fils, qui n’est à ses yeux qu’un rappel cruel de son âge.

Konstantin aime Nina, une jeune femme idéaliste qui rêve de gloire et se laisse séduire par Trigorine. Cette relation détruira ses illusions, à l’image de la mouette que Konstantin abat, symbole de vies brisées par des désirs impossibles. Des années plus tard, les personnages se retrouvent changés, désenchantés, illustrant l’impitoyable passage du temps et leur quête vaine de reconnaissance et de bonheur.

Stéphane Braunschweig, pour sa dernière création, dans la maison qu’il a dirigée, avec succès, pendant de longues années, met l’accent sur ce désenchantement. La première image est celle d’un rideau de fer baissé et d’une porte close. L’avant-scène n’offre aucune perspective. Les personnages entrent par la première coulisse ou par les escaliers qui relient la salle au plateau. Tous, dos au mur, attendent la suite. La pièce de Treplev. Celle qui doit proposer « des formes nouvelles » auxquelles aspirent la jeunesse représentée par Konstantin et Nina. Mais, quand le lourd rideau se lève, le décor qui s’offre au regard, n’est qu’un monde dévasté. La question jaillit alors : est-il encore possible de s’élever, au-dessus de ce champ de ruines ?

Ce qui fut vivant

Stéphane Braunschweig, par le renversement scénographique qu’il a imaginé, imprime la désillusion sur les ailes de ceux qui sont tentés par l’envol. « Au lieu de jouer la petite pièce de Treplev au sein de la grande pièce de Tchekhov, je me suis dit que l’on pourrait jouer la pièce de Tchekhov dans le décor imaginé par Treplev »  indique-t-il. La mise en abyme fonctionne. Le décor de la pièce de Konstantin devient celui de La Mouette. Le plateau ressemble à un lac asséché. Il ne reste sur le sol rêche et bleuté que des pierres et la carcasse démembrée d’une barque jadis engloutie. Allongés, comme des morts en sursis, les personnages écoutent la voix de Nina.

C’est au-dessus de ce monde, ravagé par les générations précédentes, « où toutes les vies se sont éteintes » , que la jeunesse incarnée par Konstantin et Nina tente de s’élever. Le désastre écologique n’a pas encore tué l’espoir. Nina, au centre du plateau, recouverte d’une combinaison blanche, semblable à celle utilisée dans des environnements toxiques, se hisse, accrochée par des filins, vers les cintres. Treplev, à la fin de la pièce, renouvelle la tentative. Mais, la force de l’inaction des « pères » condamnent ceux qui suivent, à l’échec, au désespoir ou au suicide. L’ultime image présente celle d’un monde empaillé. L’homme ne tient dans sa main qu’un oiseau mort, qui se mêle aux autres suspendus à des fils, souvenirs pathétiques de ce qui fut vivant, aérien et joyeusement bruyant.

Les acteurs, à la diction parfaite, font entendre le texte de Tchekhov dans la belle traduction de André Markowicz et Françoise Morvan. Le tutoiement, choisi à la place du vouvoiement, apporte une proximité indéniable. Les bribes de chansons, fredonnées par Sharif Andoura, ( toujours impressionnant de justesse et d’aplomb) distillent des respirations d’humour bien venues. A l’acte II, face à Nina ( la jeune Ève Pereur), Denis Eyriey porte, sans cynisme, avec une extrême clarté, les mots de l’écrivain Trigorine. Boutaïna El Fekkak, encore une fois, étonne par son jeu si particulier. Sa Macha est un feu follet qui brille et voltige au-dessus du noir désespoir qui la ronge. Il est dommage que le micro défaillant de Chloé Rejon ait pu la gêner

La Mouette, mise en scène par Stéphane Braunschweig, semble hantée par la désespérance. La modernité de Tchekhov, ainsi travaillée, toute en nuances, étonne à nouveau.

Les LM de M la Scène : LMMMMM

La Mouette

d’Anton Tchekhov

Odéon-Théâtre de l’Europe

7 novembre – 22 décembre

mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
création

avec Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Boutaïna El Fekkak, Denis Eyriey, Thierry Paret, Ève Pereur, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jules Sagot, Jean-Philippe Vidal

traduction André Markowicz Françoise Morvan

collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou

collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel

costumes Thibault Vancraenenbroeck

lumière Marion Hewlett

son Xavier Jacquot

maquillage, coiffures Émilie Vuez

assistant à la mise en scène Jean Massé

réalisation du décor Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe


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