Critique DÄMON

De Angélica Liddell

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Critique Damon

Dans DÄMON. El funeral de Bergman, Angélica Liddell livre, malgré des longueurs certaines, une performance radicale qui ne peut laisser insensible le spectateur. L’artiste, mise à nu, s’empare de la Cour d’Honneur à Avignon, pour témoigner à vif, de l’art comme exutoire fiévreux à la douleur, à la décrépitude et à la mort. 

Au nom du père et de l’artiste

C’est entièrement recouvert d’un rouge cardinal – celui du sang du Christ – que le plateau mythique de la Cour d’Honneur se découvre. Une arcade basse en reprend la teinte, comme une bannière accrochée à l’une des fenêtre en ogive. Au lointain, contre le mur de pierre, quatre petites taches blanches attirent le regard. Il s’agit d’un bidet, d’un WC, d’un urinoir et d’un broc en émail. L’image première est en quelque sorte programmatique. De foi et d’irrévérence, il sera question. Dans un combat qui ne peut que se livrer sur scène.

Ainsi, le premier comédien à entrer est-il vêtu d’une soutane et d’une calotte blanches, comme celles du Pape. La figure du Souverain pontife regarde le public, puis, tête baissée, mains dans le dos, se dirige à cour, pour compter les fauteuils roulants qui s’y trouvent. Seule la désolation semble l’animer. Enfin, une personne de petite taille, le visage peint en blanc, s’avance sur le tube électro envoutant du groupe The Cheminal Brothers « Hey Boy, Hey Girl » . Il se campe face aux spectateurs et reste immobile de longues minutes tandis que la musique emplit l’espace. Lorsque quatre autres hommes entrent, c’est le plateau qu’ils embrassent et devant lequel ils se prosternent. L’endroit de la dévotion où tout rituel prend sens selon l’artiste espagnole.

Dämon, le titre du spectacle d’Angélica Liddell peut alors s’afficher sur les pierres de la Cour d’Honneur : « Démon »  en suédois. Nom à la fois de tout démon intérieur comme celui de l’ange (Angélica ? ) qui se révolte contre Dieu. Celui-ci est accolé à celui d’Ingmar Bergman dont le Carnet de travail a été une source d’inspiration. Cinéaste, auquel il s’agit aussi de rendre hommage, en organisant ses funérailles lors du spectacle, comme l’indique le sous-titre El funeral de Bergman

S’armer d’irrévérence

Dämon s’organise en deux parties. Dans la première, Angélica Liddell, seule en scène, prend possession du plateau. Dans un acte d’irrévérence assumée, dos au public, nue sous un déshabillé blanc, elle se place au dessus d’un bidet. Elle remonte les pans du vêtement et exhibe ses fesses tandis qu’elle fait ses ablutions. L’eau est ensuite jetée contre un des murs du Palais des Papes.

Des extraits de critiques de journalistes français sont alors projetés en hauteur. Certains sont tellement acerbes et blessants qu’ils en deviennent choquants. Affichés devant les yeux des deux mille spectateurs, les noms des critiques deviennent à leur tour source d’humiliation. D’autant, qu’Angélica Liddell, lance, toujours sans nous faire face, à chaque fois un « Où es-tu ?  »  suivi du nom du ou de la journaliste, provoquant ainsi un rire de connivence avec le public. Ce retour de bâton violent est une invitation pour tout critique à mesurer ses mots. A ne s’attacher qu’à l’analyse de l’oeuvre et non à attaquer la personne de l’artiste.

Angélica Liddell, micro en main, arpentant le plateau, noyant la scène sous un déluge de mots, ne cesse de le dire. « Je ne défends pas mon spectacle. Je défends le droit de le faire.  »  Pendant, un temps certain, la parole occupe totalement l’espace Quand dans un deuxième temps, d’autres intervenants pénètrent sur le plateau, l’artiste lance et répète à n’en plus finir une phrase qui ne peut que toucher : « Avez-vous senti quelque chose ?  »  Ce cri, poussé au bord de l’épuisement, par une artiste qui fait intensément don de soi, est profondément émouvant.

Une prière vers un ciel vide

Les tableaux suivants questionnent le rapport à la vieillesse, à la mort et à l’absence de Dieu. Sur des fauteuils roulants, des hommes, vêtus comme des employés de pompes funèbres, mais le nez maquillé comme des clowns, déplacent avec rapidité des personnes âgées. Certaines sont en pyjamas, d’autres sont nues. Positionnés en ligne, ces êtres semblent être des candidats attendant la mort. Leurs corps flétris côtoient ceux de jeunes femmes dénudées. Se livrant à des poses lascives, elles frôlent le Pape, soutane relevée, attributs visibles, comme un diable, peint en rouge, sexe à l’air.

Un cercueil est convoyé au centre du plateau. Les funérailles de Bergman ont alors lieu, (passage qui s’étire trop). Il s’agit de dire adieu à l’artiste-père et de s’interroger sur sa propre mort. Entre le son d’un violoncelle, et celui strident d’une sirène, Angélica Liddell adresse bien une prière à Dieu. Ainsi que l’écrivait Ingmar Bergman : « Même si la prière n’est qu’un cri poussé dans l’espace désert et infini, peut-on s’empêcher de pousser ce cri ? 

 DÄMON. El funeral de Bergman d’Angélica Liddell pourra en choquer certains mais il s’agit avant tout d’une supplique désespérée et flamboyante pour combattre par l’acte théâtral le silence de Dieu.

Les LM de M La Scène : LMMMMM



DÄMON. El funeral de Bergman

Festival d’Avignon 

78e édition

Texte, mise en scène, scénographie et costumes Angélica Liddell

Avec Ahimsa, Yuri Ananiev, Nicolas Chevallier, Guillaume Costanza, Electra Hallman, Elin Klinga, Angélica Liddell, Borja López, Sindo Puche, Daniel Richard, Joel Valois
 la participation d’Erika Hagberg (habilleuse du Dramaten), David Abad (Multicapacitats)
celle de figurants Ayena Adjido, Julie Benoit, Francine Billard, Alain Bressand, Paule Coste, Maylis Calvet, Léa Delaporte, Adam Dupuis, Annette Ecckhout, Christian Ecckhout, Bernadette Fredonnet, Marion Gassin, Pierre Hoffmann, Dominique Houdart, Jeanne Houdart- Heuclin, Manon Hugny, Françoise Pellevillain, Gael Maryn, Daphné Lanne, Elisa Morice, Julia Pal, Alain Sperta, Sabino Tatulli, Victor Van Kuijk Saytour, Kenza Vannoni, Coralie Zaninotti
 en alternance Timothée Bosc, Odin Darlix, Victor Van Kuijk Saytour
 la voix de Jonas Bergström
et Laura Meilland (violoncelle)
Lumière Mark Van Denesse
Son Antonio Navarro
Assistanat à la mise en scène Borja López


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