Critique Cendrillon

mise en scène Joël Pommerat

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Critique Cendrillon Pommerat

Au Théâtre de Sartrouville, Joël Pommerat reprend, pour notre plus grand bonheur, Cendrillon, une réécriture puissante et réjouissante du conte de Perrault. La beauté visuelle des tableaux nourrit et éclaire le chemin initiatique de l’enfant qui va devoir accepter la mort de sa mère. Regarder l’interview vidéo de Caroline Donnelly, interprète de Cendrillon, par M La Scène.

Les cendres de la mère

Cendrillon  est un des contes les plus connus. L’un de ceux aux multiples versions. Bruno Bettelheim en recensait trois cent quarante-cinq dans Psychanalyse des Contes de fées. Pourtant, par-delà les continents et les siècles, souvent les mêmes éléments perdurent. Une jeune fille perd sa mère. Le père se remarie. La belle-mère est une marâtre, flanquée de deux filles maltraitantes. Une fée apparaît. Elle transforme Cendrillon, en révèle la beauté. A l’occasion d’un bal, la jeune fille rencontre un prince. Au douzième coup de minuit, la jeune fille s’enfuit. Une pantoufle de verre ( de vair – une délicate fourrure-  selon certains ) reste, seule trace d’elle pour qu’on puisse la retrouver. Ce qui advient.

On associe souvent Cendrillon à la poussière, à la crasse. C’est la souillon qui doit nettoyer la maison de sa belle-mère sous les quolibets de « ses soeurs » . Son prénom, pourtant, vient de l’âtre où souvent elle se tient. Un lieu où elle entretient le feu et les flammes de la mémoire. Celle de son enfance heureuse, celle de sa mère décédée. Ainsi, près de la cheminée, où elle s’assoit après son labeur, elle entretient le souvenir de sa mère morte. Cendrillon tisonne les braises d’un foyer réconfortant qui ne doit pas mourir et devient en quelque sorte la gardienne des cendres de sa mère.

Joël Pommerat dit s’être intéressé à ce conte quand il s’est aperçu « que tout parlait du deuil » , et, notamment, de la mort de la mère de Cendrillon. C’est l’histoire d’une difficile acceptation, celle de l’absence, celle de la disparition, celle aussi du chemin vers la vie.

Le mal-entendu fatal

Le spectacle commence dans le noir. Puis, accompagnée d’une musique, une voix off s’élève, celle de Marcella Carrara. Elle rappelle l’importance des mots et de l’imagination. Dans un cercle lumineux, une silhouette masculine, qui se devine à peine, semble traduire par des gestes ce que la voix prononce. Sur un cyclorama qui encadre la scène, des termes s’inscrivent et passent, sur un ciel mouvant encombré de nuages. Les mots sont dangereux, dit la voix, surtout s’ils sont mal compris.

La scène suivante, dans une quasi pénombre, montre la jeune fille près du lit de sa mère mourante. Avant de disparaître, celle-ci délivre un message testamentaire que l’enfant, malheureusement, comprend de travers. « Tant que tu penseras à moi tout le temps sans jamais m’oublier,  je resterai en vie quelque part. »  pense-t-elle percevoir. C’est sur ce mal-entendu que sa fille va se construire et agir. Désormais, Cendrillon est prisonnière du temps. Sa hantise est d’omettre de penser à sa mère et donc de la condamner à l’oubli. La montre, qu’elle porte au poignet, sonne à intervalles réguliers, lui rappelant sa promesse. Ne jamais oublier sa mère plus de cinq minutes. Et, ainsi, ne jamais la faire mourir.

Joël Pommerat fait de Cendrillon, une jeune fille ( formidablement interprétée par Léa Millet) tellement percluse de culpabilité qu’elle revendique d’accomplir les tâches les plus dégradantes au sein de la maison de sa belle-mère. Laver, aspirer, récurer, déboucher, rien ne la rebute. Au contraire, avec une sorte de masochisme exacerbé, qui réjouit, elle déclare souvent que  » ça doit être bien ça !  »  Décrasser les poubelles, désengorger les toilettes, ramasser des oiseaux morts, vivre dans une cave, rien n’est assez dur pour qu’elle expie sa faute. Peut-être sa tentation d’accepter le décès de sa mère et de vivre pour elle même.

La magie du conte

Les paroles, le langage sont résolument modernes et la réécriture joyeuse. L’humour frappe à la porte souvent où on ne l’attend pas.  Catherine Mestoussis, qui incarne la belle-mère de la jeune fille est à ce titre irrésistible. Elle apporte au personnage une gouaille et un désarroi touchant qui lui confère une dimension comique saisissante. Le rythme, les silences, entre les répliques, laisse au spectateur le temps d’imaginer lui-même à l’avance ce que pourrait être sa réaction et d’être surpris lorsqu’elle arrive.

Les comédiens, tous remarquables, (Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Léa Millet, Damien Ricau, Julien Desmet) interprètent, à l’exception de Léa Millet et Catherine Mestoussis, plusieurs rôles et partagent la même connivence. Catherine Donnely, qui incarne une des filles de la belle-mère et le prince, indique que depuis sa création en 2011, le spectacle « s’est musclé » . Avec le temps, les comédiens se sont autorisés plus de liberté et que le travail récent avec Joël Pommerat leur a permis de livrer  » des choses moins timides » , de les « assumer » .

Joël Pommerat ne laisse aucun personnage sur le bord du chemin. Chacun est traité avec humour, dignité et tendresse. La mise en scène est au cordeau. Chaque placement s’inscrit dans un tableau nimbé de rêve. Les lumières et la scénographie d’Eric Soyer construisent un univers onirique de toute beauté. Parois de verre transparentes, murs mouvants, projections colorées, ampoules et lustres, contraste entre l’ombre et la lumière, dressent les contours magiques du conte.

La création théâtrale de Joël Pommerat propose une version puissante et magnifique du conte Cendrillon. Il offre une porte d’entrée délicate et joyeuse pour aborder la question de la perte et de l’acceptation de la mort pour l’enfant comme pour l’adulte. Par-delà la culpabilité, il dessine un chemin éclairé par les forces de vie.  Les LM de M La Scène :

Les LM de M La Scène : LMMMMM


APrès le spectacle, les inerviews de M L A Scène : Caroline Donnelly, comédienne


Cendrillon

création théâtrale JOËL POMMERAT
COMPAGNIE LOUIS BROUILLARD

 

avec Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Léa Millet, Damien Ricau, Julien Desmet
et la voix de Marcella Carrara
rôle de la très jeune fille créé par Déborah Rouach
scénographie et lumière Éric Soyer
costumes Isabelle Deffin
son François Leymarie
création musicale Antonin Leymarie
vidéo Renaud Rubiano
collaboration artistique Philippe Carbonneaux
assistanat mise en scène à la création Pierre-Yves Le Borgne
assistanat mise en scène en tournée Ruth Olaizola


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