Critique Une mort dans la famille
mise en scène Alexander Zeldin
A l’heure où le journaliste Victor Castanet dévoile dans les Fossoyeurs la maltraitance organisée dans les Ehpad du groupe international Orpéa, aux Ateliers Berthier, Une mort dans la famille, la nouvelle création d’Alexander Zeldin, sur la fin de vie, touche au coeur.
La vieillesse et sa grâce
Lorsque le public entre dans la salle, il découvre l’intérieur d’une maison. Un salon encombré donne sur une cuisine légèrement en retrait. Un escalier blanc permet d’accéder à l’étage. Parmi les nombreux meubles, une femme âgée, dans un fauteuil, silencieuse, attend.
Impotente, cette femme a besoin d’aide pour se déplacer, notamment pour se rendre aux toilettes. Marguerite Brun a déjà fait un essai dans un Ehpad mais, n’a pas voulu y rester. Sa fille, veuve et mère de deux adolescents difficiles, travaille. Le climat dans la famille est houleux, violent, comme si rien n’était plus à sa place depuis la mort du père. La chute de la grand-mère, laissée seule à nouveau, va précipiter les événements et son placement dans un établissement pour personnes âgées.
Première création d’Alexander Zeldin avec des acteurs français, Une mort dans la famille s’attache à mettre en lumière les blessures souterraines qui exacerbent les liens familiaux après la perte d’un être cher. Mais comme dans Love ou Faith, Hope and Charity, ses deux derniers spectacles, le metteur en scène anglais, matérialise un lieu, où le sordide, la détresse, côtoient la grâce. Dans Love, il s’agissait d’un « shelter » pour personnes en situation d’urgence, où se retrouvaient des familles et des individus solitaires qui ne pouvaient plus payer un loyer. Faith, Hope and Charity montrait un refuge alimentaire qui offrait des repas chauds et une participation à une chorale. Ici, c’est un Ehpad, où échouent des hommes et des femmes en fin de vie.
Le choix de l’hyperréalisme
Sans fioritures, sans pathos, Alexander Zeldin fait le choix de l’hyperréalisme. Dans l’intimité de la famille, comme dans l’intimité de l’établissement, le regard posé est au plus près du réel. Il ne s’agit pas uniquement de décor. Bien que tout y soit, pour qui a connu le hall d’accueil d’un Ehpad, ses fauteuils facilement lavables, sa salle de restauration, et ses chambres personnalisables avec trois cadres à photographies. Il s’agit véritablement d’une attention à d’infimes éclats d’humanité.
Et de temps. Un temps qui sait attendre et se déployer dans le silence. Un temps qui s’adapte à une marche malaisée, à deux corps qui ne savent plus comment s’enlacer, à la toilette d’une femme dans son lit médicalisé. Cette scène magnifique tire sa force de sa simplicité et de son ancrage puissant dans le présent. Lentement, l’aide soignante (Nicole Dogué), avec une infinie douceur, mouille un linge dans une petite cuvette et le passe sur le bras et la poitrine nue de la résidente ( Marie-Christine Barrault). Dans cette intimité qui n’appartient qu’à ces deux femmes et à nous, la femme âgée pose sa main sur l’épaule de l’autre tandis qu’elle lui lave le dos. L’instant s’appesantit juste assez pour que nous parvienne la tendresse profonde qui nourrit chacun des gestes échangés.
Des interprètes à la hauteur de l’enjeu
Aucun effet de lumière ne vient théâtraliser les scènes jouées. Seuls des néons froids et crus éclairent le plateau. Comme dans Love, on retrouve, la dynamique des « cut » au noir. Ces ruptures cassantes isolent les tableaux. Soulignés par une musique forte, ces « cut » s’accompagnent de retours aussi tranchés à la lumière. Ici, ils apparaissent comme les arrêts sur images d’une tragédie annoncée, celle de la mort de la grand-mère.
Marie-Christine Barrault interprète magnifiquement cette femme qui s’effondre sans pouvoir se relever. Elle rappelle Anna Calder-Marshall, au bord de la détresse et de l’épuisement, qui dans Love, émouvait au plus haut point. A ses côtés, Nicole Dogué et Karidja Touré campent des aide-soignantes pleines d’humanité et Catherine Vinatier, une mère dépassée, rongée par la culpabilité. Parmi les résidents de l’Ehpad, tous parfaits, se détachent la figure émouvante de Thierry Bosc et celle tempétueuse d’Annie Mercier. Ce soir-là, Mona et Ferdinand Redouloux interprétaient les petits enfants de Marguerite Brun. Ils ne déméritaient pas. Loin de là.
Jusqu’à la dernière scène et la dernière image, le spectacle soutient l’émotion. Entre violence et poésie, Alexander Zeldin nous place au coeur de la famille. Le public est sur la plateau, assis parmi les vivants, mais, il accueille aussi les morts qui viennent s’installer à côté de lui. Doucement. Naturellement.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Une mort dans la famille
11 – 21 janvier Berthier 17e
texte et mise en scène Alexander Zeldin
artiste associé Odéon Théâtre de l’Europe
avec Marie Christine Barrault, Thierry Bosc, Nicole Dogué, Annie Mercier, Karidja Touré, Catherine Vinatier
et Nita Alonso, Flores Cardo, Francine Champlon, Michèle Kerneis, Dominique de Lapparent, Françoise Rémont, Marius Yelolo
et Aliocha Delmotte, Hadrien Heaulmé, Mona
scénographie / costumes Natasha Jenkins
lumière Marc Williams
son Josh Anio Grigg
travail du mouvement Marcin Rudy
dramaturge / collaboratrice artistique Kenza Berrada
collaborateur artistique Robin Ormond
assistante costumes Gaïssiry Sall
stagiaire à la mise en scène Marcus Garzon
réalisation du décor Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe
Spectacle vu à Berthier en février 2022
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