Les Bijoux de pacotille

Mise en scène Pauline Bureau

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Les bijoux de pacotille
© Pierre Grosbois

Au Théâtre de la Bastille, la scène se transforme en lieu de mémoire et d’émotion avec Les Bijoux de pacotille. Seule en scène, Céline Milliat-Baumgartner livre un récit intime, porté par la mise en scène délicate et inventive de Pauline Bureau. Ensemble, elles revisitent l’enfance brisée, les silences des adultes et la puissance du théâtre pour dire l’indicible.

Les Bijoux de pacotille : la scène comme écrin 

Noir complet. Une voix off se fait entendre. Les faits s’énoncent dans la pénombre. Informatifs. Sans pathos. 19 juin 1985. Au petit matin, une voiture s’engouffre dans un poteau et prend feu. A l’intérieur, un homme et une femme. Méconnaissables. Nus. Leurs vêtements ont brûlé. Seuls deux bracelets et une boucle d’oreille de pacotille témoignent encore d’un bonheur passé et d’une vie de fantaisie.

Dans Les Bijoux de pacotille, Céline Milliat-Baumgartner raconte sa propre histoire, celle d’un drame fondateur. Elle a huit ans quand ses deux parents meurent brutalement dans un accident de voiture. Seule avec son frère ce soir-là, veillés par un baby-sitter inexpérimenté, elle ne comprend que plus tard, dans les silences des adultes, ce que signifie « ne pas dire la vérité aux enfants ». La jeune fille grandit avec une absence devenue matière vivante : la mémoire, les bribes de souvenirs, quelques objets dérisoires.

Le récit autobiographique de Céline Milliat-Baumgartner, publié en 2015, aux éditions Arléa, devient un spectacle, deux ans plus tard, sous la direction sensible de Pauline Bureau.

Le théâtre comme abri

Le spectacle n’est ni une confession, ni une thérapie. Il s’agit avant tout d’un geste artistique qui vise à transformer un traumatisme en poésie scénique.

Vêtue d’une robe presque enfantine et de bottines qui claquent sur le plateau, Céline Milliat-Baumgartner ne joue pas un personnage. Elle se rejoue elle-même. Celle qu’elle a été, celle qu’elle est devenue, l’enfant égarée et la comédienne en équilibre sur les mots, comme une danseuse montée sur pointes. Énoncé d’une voix claire, à la diction parfaite, le récit se déroule, vif, ponctué de justes silences, avec une fraîcheur étonnante.

La question du jeu est centrale : comment incarner l’enfant qu’on a été ? Comment convoquer des parents disparus, avec pour seul matériau la sensation ? C’est cette tension entre l’évocation et le manque, entre l’amour et la perte, qui donne à la performance toute sa densité. Ce qui aurait pu sombrer dans le pathos donne lieu, au contraire, à des instants de grâce. Céline Milliat-Baumgartner transforme le chagrin en magnifiant ses parents, héros de son cinéma intime. Cette douleur maîtrisée, ce regard d’enfant resté intact, touche et séduit.

 Une boîte à mémoire 

Le plateau est nu ou presque. Un grand miroir rectangulaire suspendu, un peu piqué près des bords, double la vision de la scène. Comme l’écho à un ailleurs ou un jadis. Un petit carton que l’actrice tient dans la main quand elle entre sur scène et qu’elle dépose ensuite, en prolonge la géométrie. Grâce à la scénographie imaginée par Emmanuelle Roy et aux projections de Christophe Touche, le théâtre devient une sorte de boîte à bijoux, une boite à mémoire.

L’ensemble donne lieu à de très jolis moments. Ainsi, lorsque Céline Milliat-Baumgartner ouvre le carton, les images d’une caméra super 8 paraissent en émerger. La lumière vacillante éclaire le visage de l’actrice, agenouillée. Elle s’absorbe dans le témoignage précieux des instants qui furent partagés en famille. Ces traces fugaces d’un passé heureux révolu déborde du carton et submergent l’entièreté de la scène, la grande glace, devenue écran, comme le plateau. La petite silhouette de la comédienne qui se reflète dans le miroir, semble alors minuscule face aux projections, écrasée, au regard du poids des souvenirs.

De même, l’image de la mer, dont les vagues viennent lécher les pieds de l’actrice sur scène et, de façon magique, au même instant, sur  le miroir, est de toute beauté. Présent et passé semblent fusionner, dans la même évocation, vécue et remémorée. Les deux points de vue associent l’enfant et l’adulte, si proches, et néanmoins, séparés.

Ce dialogue constant entre le corps, l’image et l’espace témoignent d’une direction d’acteur d’une rare finesse. Pauline Bureau, sans jamais alourdir le propos, orchestre avec justesse une mise en scène sensible et fluide, qui accompagne l’émotion sans la forcer, et donne à l’actrice toute la liberté d’habiter son récit avec grâce et intensité.


Les Bijoux de pacotille, de Céline Milliat-Baumgartner, mis en scène par Pauline Bureau n’est pas un simple témoignage. C’est un fragment d’enfance sauvé du silence. Et une preuve éclatante que la scène, parfois, peut réparer ce que la vie a brisé.

Les LM de M La Scène : LMMMMM



Les Bijoux de pacotille

Théâtre de la Bastille

Du 28 avril au 17 mai

  • Texte et interprétation
    Céline Milliat-Baumgartner
  • Mise en scène Pauline Bureau
  • Scénographie Emmanuelle Roy
  • Costumes et accessoires Alice Touvet
  • Composition musicale et sonore
    Vincent Hulot
  • Lumière Bruno Brinas
  • Dramaturgie Benoîte Bureau
  • Vidéo Christophe Touche
  • Magie Benoît Dattez
  • Travail chorégraphique Cécile Zanibelli
  • Régie générale, son et vidéo
    Sébastien Villeroy
  • Régie Lumière Pauline Falourd

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