Le directeur de la Schaubühne de Berlin, Thomas Ostermeier crée La Nuit des rois ou ce que vous voulez d’après Shakespeare à la Comédie-Française et fait souffler un vent de folie carnavalesque sur la scène du Théâtre-Français.
La comédie des apparences
La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez, dans une nouvelle traduction d’Olivier Cadiot, reprend l’intrigue de la comédie shakespearienne. Apparences, faux-semblants, illusion sont les maîtres qui se jouent des personnages. En Illyrie, Viola, rescapée d’un naufrage – comme son jumeau Sébastien qu’elle pense noyé – se travestit en homme pour éviter d’être abusée. Elle prend le nom de Césario et entre au service du duc Orsino dont elle tombe bientôt éperdument amoureuse. Mais, celui-ci charge Césario, son nouveau page, de forcer la porte de la Comtesse Olivia pour devenir le messager de sa passion. La comtesse séduite par son apparence le reçoit mais tombe sous le charme de Césario, la jeune femme déguisée. Les quiproquos ne s’arrêteront pas là.
Et le jeu de l’amour et du hasard ne serait pas complet si à la cour du Duc Orsino comme à celle de la Comtesse Olivia ne régnait la folie. Bouffon, ivrognes patentés, valets et intendants éminemment comiques se disputent le droit de manœuvrer l’autre et de prendre part à la mascarade générale. Les jeux de pouvoir et d’apparence dressent les contours d’un monde troublé où le danger guette et où le rire naît très souvent au détriment de l’autre.
Le retournement carnavalesque
La scénographie (Nina Wetzel) a été conçue comme un écho à ce monde d’artifice où tout peut arriver. Le plateau de la Comédie-Française est clos, éclairé à l’extrême par un grand néon en forme de flocon de neige. Des murs et un plafond blancs ferment l’espace au point de le faire ressembler à une boite hermétique. Les deux uniques ouvertures sont dissimulés par de larges feuilles de palmiers en carton. Au centre, un divan trône. Dans cet espace immaculé, animé au début, par la seule présence de deux faux gorilles, tout semble figé. La scène de Théâtre-Français semble claquemurée.
Il faut donc imaginer une autre scène, ouverte, tapageuse, par laquelle la folie et le mouvement puissent survenir. A travers l’orchestre, en son milieu, un large podium a été placé et rehaussé pour relier la salle, la scène et le hors-scène. C’est sur celui-ci que la majorité des entrées se font. Entrées et sorties exubérantes, danses, échanges vifs et enlevés, duels, apartés, dialogues qui se poursuivent dans les travées et derrière les portes.
La salle devient la scène. Une scène outrancière où le public, aux premières loges, forcément éclairé, participe au jeu qui le sollicite.
Des comédiens pour porter l’ambivalence
U
ne scène joyeuse où comme à la parade les comédiens distillent leur plaisir d’expérimenter ce retournement carnavalesque : ne plus être où l’on attend qu’on soit. Les rois de la mascarade étant sans conteste Christophe Monterez qui campe un Sir Andrew déchaîné, sorte de Iggy Pop exhibitionniste, benêt à souhait, et Laurent Stocker (Sir Tobby) à l’autorité comique redoutable. L’acteur parvient à donner toute l’ambiguïté du personnage. A la fois trublion facétieux et dangereux, il est prêt à tout pour se jouer de l’autre jusqu’à utiliser la torture. Le metteur en scène leur offre d’ailleurs un court numéro de duettistes, où devant micros, ils raillent Jupiter, appliquant le principe du rabaissement de tout ce qui est élevé pour provoquer et gêner.
Tous les comédiens cependant portent l’ambivalence. Jambes nues, femmes et hommes en boxer, le costume déstructure une identité attendue. La question du genre se pose. Derrière tous les débordements, qui ne manqueront pas d’en choquer certains, Thomas Ostermeier, en exacerbant l’intrique secondaire et la sexualité sur scène, parvient à vivifier ce qui sous-tend La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez de Shakespeare, la possibilité pour chacun de transgresser à tout moment un interdit. La scène finale, au ralenti, où les cinq personnages ( Denis Podalydès, Adeline D’Hermy, Georgia Scallier, Julien Frison, Noam Morgensztern) passent de l’un à l’autre sans plus savoir qui leur est destiné, est à ce titre remarquable de justesse. Et de drôlerie.
Thomas Ostermeier retrouve l’esprit truculent de la farce shakespearienne tout en interrogeant l’ambiguïté des corps et de l’amour. L’engagement des comédiens est total. Le chant d’un contre-ténor accompagné d’un théorbe ponctue La Nuit des rois d’extraits musicaux italiens du XVIIe siècle magnifiques.
Le 14 février 2019: Pathé Live : La Nuit des rois ou tout ce que vous voulez
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