Festival d’Avignon IN 2018
La Reprise Histoire (s) du Théâtre (I) Conception et mise en scène Milo Rau
Comment représenter la banalité d’un crime ? Le metteur en scène suisse Milo Rau s’empare d’un fait divers tragique survenu à Liège en 2012, le meurtre d’un jeune homosexuel battu à mort par trois jeunes chômeurs, pour interroger l’origine de la violence et sa représentation sur scène. L’entreprise est passionnante.
Dans La Reprise, événement majeur du Festival d’Avignon, le réel est à la source du processus de création, mais à aucun moment, il ne s’agit de tenter de récréer ce réel sur scène. C’est sa représentation qui est questionnée. A partir du lynchage et du meurtre d’Ihsane Jarfi ainsi que du procès de ses tortionnaires, Milo Rau a choisi de collecter les témoignages de tous les « acteurs » du drame et de les confronter à leur re-création. La mère de la victime, son père, son petit-ami et un des meurtriers ont été rencontrés. Leur parole a été recueillie, non comme matériau du réel, mais comme matériau de la mémoire, traversée par la nécessité de faire quelque chose de cette abomination, de cette perte.
Sur le plateau, six comédiens, dont deux non professionnels, (Tom Adjibi, Sara De Bosschere, Suzy Cocco, Sébastien Foucault, Fabian Leenders, Johan Leysen), donnent voix et chair à ces témoignages. Mais, à chaque étape du processus de représentation, « la reprise » des éléments par le théâtre est rappelée et revendiquée. La « pièce » débute par l’avancée d’un des comédiens face public. Il explique ce que « jouer » veut dire pour lui. Ne pas faire l’acteur. Tout jouer. Même un fantôme. Dérision oblige, il rejoue le fantôme du père Hamlet en anglais. Sur le plateau, le casting des comédiens est re-fait. Mêmes questions ? Mêmes réponses ? Le processus théâtral s’enrichit de ses doubles lectures. Les acteurs ne sont jamais les personnages. Ils se nomment entre eux par leurs vrais patronymes. Suzy reste Suzy. Les acteurs ne sont que la représentation du réel qui se joue sur scène. L’écran et les prises de vue rappellent l’artifice.
Restent la force et la brutalité de ce que peut proposer le théâtre. Jusqu’où ? L’ultime tabou, dont parle Wajdi Mouawad, et qui clôt La Reprise. Que je ne dévoilerai pas. Dans quel but? Revenir à l’essence même du théâtre. Regarder le crime, se confronter à sa banalité première, à sa représentation radicale, et œuvrer pour qu’elle reste sur le plateau. Le théâtre que propose Milo Rau, en ce sens, est cathartique et politique.
Festival d’Avignon
> Gymnase du lycée Aubanel 9, 10, 12, 13, 14 juillet à 18h
- LA REPRISE – HISTOIRE(S) DU THÉÂTRE (I) Milo RAU Création 2018
Certaines scènes de ce spectacle sont susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes.
Durée : 1h40
M La scène : autres critiques théâtrales