Critique Rhinocéros
mise en scène Bérangère Vantusso
Au Théâtre Silvia Monfort, Bérangère Vantusso revisite Rhinocéros, la célèbre fable politique d’Eugène Ionesco, dont Nicolas Doutey a assuré l’adaptation. La scénographie créative et la mise en scène resserrée réactualisent le texte de 1959 tout en questionnant son impact subversif aujourd’hui. Portée par de jeunes comédiens, la pièce souffre néanmoins d’un manque de rythme.
Rhinocéros, quand l’humanité vacille
La pièce d’Ionesco prend place dans une petite ville anonyme. Une étrange épidémie sème le chaos. Les habitants, un à un, se transforment en rhinocéros. Cette métamorphose ne se limite pas au physique, elle reflète une contagion plus insidieuse, faite de haine, d’égoïsme, de jalousie et de soif de pouvoir. Bérenger, le personnage central, incarne la lutte acharnée contre cette déshumanisation collective. En refusant de céder à l’uniformisation, il défend des valeurs profondément humaines face à une société en pleine régression vers l’animalité. Alors que la montée des nationalismes résonne comme un écho contemporain à l’œuvre d’Ionesco, la pièce pose une question essentielle : jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour préserver notre humanité ?
Bérangère Vatusso fait le choix astucieux de ne pas représenter les pachydermes. La menace de leur présence se concrétise par des éléments visuels. Avant que le spectacle ne débute, le public découvre les comédiens en action. Tels des automates perchés ou assis sur de petits cubes assemblés qui leur servent de socles, ils répètent en boucle une série de gestes. Tous habillés de gris, uniformisés, les personnages semblent donc déjà prêts à accepter ce qui va advenir. Lorsqu’ils commencent à marcher, ils effectuent des va-et-vient quasi robotiques. Puis, se saisissant d’une veste sur un des portants pour s’en vêtir, ils créent au ralenti avec leurs corps des formes étranges, presque animales. Il semble que tout soit déjà en place pour les métamorphoses bestiales à venir.
Le mur-monstre
L’élément fort de la scénographie imaginée par Cerise Guyon est un haut mur tridimensionnel. Une multitude de cubes de céramique blanche le compose. Le décor, qui renvoie un univers hygiénique, n’en est pas moins inquiétant car, il semble animé d’une vie propre. Des cris s’en échappent, des cavités se créent. Des cubes s’en détachent dans un fracas qui terrifient les personnages. Métaphore de la contagion qui gagne la ville et absorbe les âmes, la structure inexorablement avance et dévore l’espace de jeu des acteurs. A la toute fin, le mur-monstre a pratiquement avalé tout le plateau. Le dernier des hommes, Bérenger, acculé, se hisse pourtant sur des excroissances de la structure, comme sur les cornes d’une « bête » en marche, pour clamer sa décision de résister, de lutter.
Bérangère Vantusso se saisit d’un objet lisse, banal, à la forme géométrique carrée, pour interroger habilement l’avancée des nationalismes. Toutes les faces sont égales et superposables dans un monde qui n’admet aucune opposition. Les cubes blancs disséminés sur le plateau dès l’entrée des spectateurs renforcent l’idée que des blocs sont déjà posés. Dans les mains des comédiens, le cube remplace tous les objets et même des êtres vivants. Siège, table, verre, lampe, télévision, chat, tout se crée à partir de cette forme unique multipliée à l’extrême.
Quand l’individu n’est plus qu’un cube, perdu dans une masse uniforme, imposée par une force menaçante, la démocratie est en péril. Le message d’Ionesco, réactivé par la mise en scène de Bérangère Vantusso n’a rien perdu de sa vitalité. Il est d’autant plus dommage que les jeunes comédiens n’aient pas réussi à donner plus de corps et d’intensité au texte de Rhinocéros pourtant adapté par Nicolas Doutey. On ne peut que regretter que l’ensemble en pâtisse.
Bérengère Vantusso s’empare de la pièce de Ionesco, Rhinocéros. Le théâtre d’objets est mis au service de l’invention visuelle et de la pertinence politique.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Rhinocéros
05 → 14.12
Avec Le Mouffetard – Centre national de la Marionnette
De Eugène Ionesco
Mise en scène Bérangère Vantusso
Adaptation et dramaturgie Nicolas Doutey
Avec Boris Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro, Hugues De la Salle ou Mathieu Genet (en alternance), Tamara Lipszyc, Maika Radigalès
Collaboration artistique Philippe Rodriguez-Jorda
Assistanat à la mise en scène Pauline Rousseau
Scénographie Cerise Guyon
Création lumière Anne Vaglio, création musicale Antonin Leymarie, création son Grégoire Leymarie
Costumes Sara Bartesaghi Gallo, assistée de Elise Garraud
Direction technique, régie générale et lumière Philippe Hariga
Régie son Vincent Petruzzellis, régie plateau Léo Taulelle.
Construction décor Fabien Fischer, Maxime Klasen (la Boite à Sel)
Accessoires Sébastien Baille
Avec la participation à la bande son de Matthieu Ha (voix), Giani Caserotto (guitare), Fabrizio Rat (piano), Adrian Bourget (mixage et traitement en direct)
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