Critique Paradoxal

Mise en scène Marien Tillet

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Paradoxal
© Samuel Poncet

Dans Paradoxal, Marien Tillet compose une partition singulière, à mi-chemin entre récit d’anticipation et exploration intérieure, où le doute devient matière scénique. La lumière ciselée de Samuel Poncet intensifie le trouble, sculptant un espace où rêve et réalité se confondent.

Paradoxal : récit d’un trouble organisé

Pratiquement seul en scène, ( se reporter à la fin de l’article),  Marien Tillet déploie un théâtre de l’incertitude dans Paradoxal.  Ce « thriller scientifique« , tel qu’il le définit, et hypnotique interroge la matière de nos rêves et la consistance de notre réalité. Vulgarisation scientifique et puissance narrative se mêlent. Le comédien explore le phénomène fascinant du rêve lucide à travers l’histoire troublante de Maryline. Cette journaliste insomniaque décide de plonger dans une étrange expérience médicale. La scénographie est minimale, un bureau, une lampe, une chaise. Et des petites bouteilles d’eau en plastique qui se multiplient comme par enchantement. Avec si peu, Marien Tillet démontre que le vertige du doute peut être un moteur scénique redoutable.

Marien Tillet n’a besoin d’aucun artifice spectaculaire pour faire exister une multitude de mondes et de voix. Grâce à une présence magnétique, un rythme soutenu et une fluidité saisissante dans le passage d’un personnage à l’autre, il guide le spectateur dans un dédale mental où les repères s’effacent. Loin de la simple performance de conteur, il orchestre un jeu d’illusions, où la réalité glisse imperceptiblement vers le rêve, puis vers le cauchemar. Son écriture, ciselée et cinématographique, convoque tour à tour la science, la psychanalyse et le fantastique. Elle n’est pas sans évoquer par instants l’ambiance troublante d’Inception. Le film de Christopher Nolan questionnait aussi le rêve et sa force créatrice sous contrainte.

La lumière partenaire mais pas seulement

Les lumières de Samuel Poncet, véritables partenaires de jeu, participent pleinement à l’étrangeté qui nourrit Paradoxal. Évocatrices, feutrées, inquiétantes, elles façonnent un espace mental où la frontière entre rêve et réalité se brouille sans cesse. Tantôt tamisées, tantôt crues, elles accompagnent les basculements du récit, suggérant l’instabilité des perceptions, les vertiges de la conscience, les trous noirs du sommeil.

En sculptant l’obscurité avec justesse, elles génèrent un doute sensoriel constant, transformant la scène en territoire flottant, à la fois intérieur et exposé. Ce jeu subtil de clair-obscur transforme l’espace scénique en chambre d’écho du subconscient. La perception du spectateur est sans cesse sollicitée, perturbée, remise en question. A travers ce dispositif subtil, qui sculpte magnifiquement l’espace, Samuel Poncet devient l’architecte d’un trouble poétique, aussi essentiel que la voix de Marien Tillet.

Paradoxal s’apparente à une expérience sensorielle autant qu’à un objet théâtral. Le spectateur s’y retrouve complice, victime et cobaye à la fois, piégé dans les méandres d’une intrigue où rien n’est jamais tout à fait certain. Le théâtre devient ainsi un miroir de l’inconscient, une fabrique de fictions qui interroge notre rapport au réel. On regrettera cependant que la jeune comédienne qui intervient à la fin ne soit ni citée dans la distribution, ni sollicitée dans le salut final. Cette disparition, elle, ne peut être cautionnée.

Paradoxal trouble, interroge et fascine, jusqu’à faire vaciller nos repères les plus intimes. Un presque « seul en scène » magistral, où l’imaginaire devient terrain d’expérimentation vertigineux

Les M de M La Scène : MMMMM


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Paradoxal

Le 11 Avignon

Jusqu’au 24 juillet à 14h

Texte, mise en scène & jeu Marien Tillet

Scénographie et lumières Samuel Poncet

Dispositif sonore Alban Guillemot

Régie son Simon Denis

Regard intérieur Marik Renner