Critique Oui

Mise en scène Célie Pauthe

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Aux Ateliers Berthier, Célie Pauthe signe avec Claude Duparfait une adaptation théâtrale fiévreuse et intense du court roman de Thomas Bernhard, « Oui » . Une vibrante promenade désenchantée au coeur du désespoir. Découvrez l’interview exclusive de Claude Duparfait sur notre chaîne YouTube, M La Scène

Oui
© Jean-Louis Fernandez

Une femme à abattre

Dans une région reculée d’Autriche, vit un scientifique. Isolé, le narrateur du court roman « Oui »  de Thomas Bernhard, paru en 1978, semble en proie à une forte dépression. Il n’a plus goût à son travail : l’étude des anti-corps dans la nature. Il paraît prêt à sombrer dans la folie ou le suicide. Seules la lecture de Schopenhauer et la musique de Schumann l’accompagnent encore parfois. Pourtant, le désir d’une personne, avec laquelle il pourrait converser de tout et stimuler son aptitude à penser, est là. Comme la certitude que cette personne, si elle existait, pourrait le sauver.

Un jour, il se rend chez son ami Moritz, un agent immobilier. Le narrateur y fait la connaissance d’un couple de suisses. L’homme souhaite acheter un terrain pour y faire construire une maison. Le pré, inhospitalier, particulièrement humide, situé près d’un cimetière, semblait pourtant invendable. La rencontre avec la femme du Suisse va s’avérer magique pour le narrateur. Celle qu’il nomme désormais « la Persane »  , car elle vient d’Iran, lui redonne goût à la vie.

Petit à petit, lors de leurs promenades dans la forêt de mélèzes, chacun s’ouvre à l’autre. Au cours d’un de ces échanges, la Persane confie la terrible vérité. Elle a été la muse du « Suisse » . Mais depuis vingt ans, le talent de l’homme s’est tari. Il la rend responsable de son échec et souhaite se débarrasser d’elle. La maison sinistre qu’il fait bâtir de l’autre côté du cimetière et de la forêt, sera son mausolée.

Lentement, le narrateur ne supporte plus de voir cette femme. Quatre mois auront suffi. La Persane lui a permis de surmonter sa dépression. Elle l’a sauvé. Lui, l’abandonne à son sort. Son suicide programmé. Pour le Suisse, comme pour le narrateur, celle qui a été source d’inspiration et de vie, n’est plus qu’une femme à abattre.

Fixer le souvenir de la Persane

Après avoir monté Des arbres à abattre, Célie Pauthe et Claude Duparfait reviennent à Thomas Bernhard. Célie Pauthe dit avoir été bouleversée, en ouvrant à nouveau, Oui, « de comprendre à quel point la question de l’être vital, du sauvetage par l’autre, qui deviendra l’un des motifs récurrents de son oeuvre, y est affrontée avec une entièreté, une nudité, une profondeur extraordinaire » .

La scénographie donne écho à cette soif de l’autre. Sur le plateau vide, une chaise blanche, un sac informe et une bouteille d’eau en verre, sont les uniques éléments de décor. C’est, dans cet espace épuré, que Claude Duparfait, seul en scène, prend en charge la parole du narrateur. Il entre, un livre à la main, et s’assoit. Dès le début, le comédien établit une complicité avec ceux qui sont en face de lui.  » Bonsoir ! On pourrait, peut-être, ensemble, lire un peu de Schopenhauer ? »  La parole est adressée, vibrante, face à une salle éclairée. Une parole, qui ne cessera d’être habitée par  une fièvre que le désespoir nourrit.

Un grand écran dévore l’ensemble du fond de scène. Il s’anime bientôt, rendant visibles les promenades que le narrateur effectue en compagnie de la Persane (Mina Kavani). Au coeur d’une haute forêt de mélèzes, la caméra opère des travellings avant ou arrière, et suit les déambulations des deux personnages. L’image contribue à recomposer le portrait de celle qui a traversé la vie du narrateur.

La persane existe alors en dehors du souvenir du narrateur. Elle prend forme et voix. Le beau visage de Mina Kavani envahit l’écran. Elle assume son récit et son destin. Dans une scène ultime, terrée au coeur de sa maison tombeau, elle regarde bravement vers la salle. Puis, la femme disparaît sous nos yeux, happée par son grand manteau noir, la pénombre et la mort. En donnant chair au personnage, Célie Pauthe et Claude Duparfait, fixent le souvenir de la Persane et, en creux, celui de toutes les femmes iraniennes résistantes, sacrifiées, en lutte pour leur liberté. 


Est-ce un beau spectacle ? Oui.  Quelque chose d’envoûtant se dégage, à n’en pas douter, de la dernière création de Célie Pauthe et Claude Duparfait.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

OUI

d’après Thomas Bernhard
adaptation et conception Claude Duparfait et Célie Pauthe
mise en scène Célie Pauthe

24 mai – 15 juin

Berthier 17e

avec Claude Duparfait et Mina Kavani ( à l’écran)

 

traduction Jean-Claude Hémery
lumière Sébastien Michaud
son Aline Loustalot
vidéo François Weber
costumes Anaïs Romand
assistanat à la mise en scène Antoine Girard
accompagnement à la scénographie Guillaume Delaveau
cheffe opératrice du film Irina Lubtchansky

film,
avec Mina Kavani et Claude Duparfait
écriture Claude Duparfait et Célie Pauthe
réalisation Célie Pauthe

Création le 17 octobre 2023 au CDN de Besançon Franche-Comté


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