Critique Orphelins

Mise en scène Thibaut Besnard

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Orphelins

Orphelins, du dramaturge anglais Dennis Kelly, est un huis clos percutant où la cellule familiale devient le champ de bataille de nos peurs collectives. Dans la mise en scène tendue de Thibaut Besnard, la banalité d’un intérieur de banlieue se transforme en piège moral. Entre drame intime et thriller, la pièce explore jusqu’à l’asphyxie ce que l’on sacrifie au nom des liens du sang. Un spectacle intense soutenu par une l’interprétation sans faille.

Orphelins, chronique d’un effondrement intime

Dennis Kelly déploie une écriture tranchante, orchestrant un chœur de voix en équilibre instable sur le fil de l’urgence. Dans Orphelins, l’écriture est à vif et les voix s’entremêlent dans une tension constante. La pièce ausculte les failles d’une société fracturée, où le repli identitaire, la peur de l’autre et la violence larvée contaminent jusqu’à la cellule la plus intime. Ce théâtre du choc et du réel propulse le spectateur au cœur d’un drame familial aux allures de thriller.

Le récit s’ouvre sur un couple en apparence ordinaire. Dans une banlieue, que la violence semble gangréner, Helen et Danny s’apprêtent néanmoins à célébrer un heureux évènement. Helen attend un deuxième enfant. Tout bascule lorsque Liam, le frère de la femme, fait irruption le tee-shirt maculé de sang. Son arrivée déclenche une enquête haletante et terrible. Une descente vertigineuse vers l’enfer s’organise. Chaque échange, brûlant d’intensité, arrache une nouvelle part de vérité qui se révèle destructrice.

Une mise en scène totalement maîtrisée

Thibaut Besnard orchestre cette montée en tension dans un décor volontairement banal et réduit. La cuisine matérialisée à des éléments épars, un frigo blanc, un évier, une table en formica rouge, une suspension, devient le lieu ordinaire d’une tragédie monstrueuse. Seul un petit sapin de Noël, agrémenté d’une guirlande lumineuse, témoigne de ce que la soirée aurait pu être. C’est au cœur de ce lieu, qui constitue l’essence de la vie familiale et un refuge face aux dangers et agressions du dehors, que la tragédie prend corps.

La mise en scène, resserrée, parfaitement maîtrisée, est soutenue par trois comédiens (Julia Gratens, Benjamin Paillou et Antoine Robinet) dont la justesse est à saluer. Chacun d’eux porte avec intensité son personnage jusqu’à des extrémités qu’on ne soupçonnait pas. Ils maintiennent la tension même dans les silences. Comme s’ils permettaient que l’on accompagne leur plongée dans le gouffre intime qui les conduit vers l’horreur.

À travers le malaise qui grandit, Orphelins met en lumière les tiraillements entre valeurs personnelles et responsabilités collectives. Jusqu’où serait-on prêt à aller pour protéger un proche ? Dennis Kelly ne traite pas la peur de l’étranger comme une abstraction, mais comme un révélateur de ce que nous sommes devenus : une société méfiante, rongée par ses propres contradictions. Orpheline de l’autre et des richesses dont il est porteur.

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Orphelins laisse le spectateur sonné, comme après un choc frontal. Pas de réponse, pas d’échappatoire, seulement une tension sourde qui persiste bien après le noir final. À travers ce drame familial aux allures de thriller, Thibaut Besnard en montant la pièce de Dennis Kelly signe un théâtre coup de poing, qui force à regarder en face nos peurs, nos lâchetés, et ce que la violence peut faire de nous.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

 

Orphelins 

FACTORY (LA) – 2-Espace Roseau Teinturier

du 5 au 26 juillet à 17h30

Texte Dennis Kelly

Mise en scène : Thibaut Besnard
Interprétation : Julia Gratens , Benjamin Paillou, Antoine Robinet , Héléna Castelli
Création lumière Héléna Castelli
Traduction : Philippe Le Moine
Chorégraphie : Mina Gozan
Photographie : Damien Guillaume
Musique : Jules Poucet
Costumes : Géraud Viruega
La pièce Orphelins de Dennis Kelly (traduction de Philippe Le Moine) est publiée par L’ARCHE éditeur.