Critique NÔT
Chorégraphie Marlene Monteiro Freitas

NÔT, de la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas, ouvre la 79e édition du Festival d’Avignon dans la majestueuse Cour d’honneur du Palais des Papes, de façon aussi déroutante que radicale. S’inspirant très librement des Mille et Une Nuits, le spectacle raconte moins qu’il ne disloque.
NÔT ou la nuit fracturée
Dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, vaste enceinte de pierre chargée de mémoire, Marlene Monteiro Freitas offre avec NÔT une ouverture de festival radicale. S’inspirant de l’inépuisable matrice des Mille et Une Nuits, la chorégraphe capverdienne ne cherche pas tant à raconter qu’à désarticuler le mythe de Shéhérazade. Elle le tord et le recompose dans une forme carnavalesque et déconcertante. Là où d’autres auraient pu illustrer docilement le conte, elle préfère en traduire la tension vitale. Celle d’une femme qui, nuit après nuit, danserait au bord du précipice pour différer sa mort.
Sur le plateau quadrillé de grilles blanches, entre lits défaits, oreillers sales et masques de poupées, Marlene Monteiro Freitas construit une scénographie paradoxalement figée. Celle-ci contraste avec la frénésie chorégraphique qu’elle orchestre. Tout ici s’oppose et se heurte. Le blanc, le noir. L’esthétique clinique des dispositifs et les visages grimaçants, les gestes mécaniques, les sons stridents. Chaque interprète, tantôt automate, tantôt marionnette, paraît incarner tour à tour une Shéhérazade plurielle, éclatée, douloureuse. La danseuse mozambicaine Mariana Tembe, sans jambes, bouleverse par une présence déchirante, traçant une ligne entre mutilation et sublimation. La musique, hétéroclite et rugueuse, de Stravinsky à Prince, agit comme moteur et chaos. Les tambours sur scène, pièces maîtresses du spectacle, soutiennent les tensions internes de la pièce.
Les écueils
Mais à trop vouloir déconstruire, NÔT se perd parfois. Certaines séquences s’étirent sans nécessité. D’autres sombrent dans une répétition qui lasse, voire dans une provocation inutile. Une danseuse ainsi, armée d’un pot de chambre, enjambe péniblement la rampe. (Depuis Dämon d’Angélica Lidell, l’attraction pour bidet et autres objets de commodités en émail blanc semble se propager.) Puis, pendant de longues minutes, elle erre dans les gradins, produisant des sons entre vomissements et poussées diarrhéiques. Le moment qui s’éternise provoque au mieux le rire, au pire l’ennui.
Si l’on reconnaît la puissance expressive de l’univers de Marlene Monteiro Freitas, sa mécanique bien huilée menace souvent de tourner à vide. La démesure du lieu n’aide pas. La Cour d’honneur, vaste et majestueuse, avale les détails et dilue les impacts visuels. Cette dilution scénique peut expliquer une certaine perte de lisibilité.
Une guerre en marche ?
Pourtant, c’est peut-être là aussi que réside la force de NÔT. dans cette opacité, dans cette nuit dense qui refuse l’évidence, qui force à chercher plutôt qu’à comprendre. En faisant fi de l’argument et du lien annoncé avec les Mille et Une Nuits, le plateau s’apparente plutôt à un hôpital de campagne. Les tambours, les infirmières-nonnes anonymées par les masques, les draps tachés de sang, nettoyés et changés à l’infini, l’absence de corps, concourent à créer l’image d’une guerre en marche. Mais, l’idée reste une interprétation et non, ce qui aurait pu être une proposition de lecture actuelle.
Le public ne s’y est pas trompé, partagé entre fascination et rejet. Des spectateurs sont partis en cours de route, d’autres ont applaudi à tout rompre. En choisissant de plonger dans l’inconfort, Marlene Monteiro Freitas signe néanmoins une œuvre éprouvante qui interroge les représentations et le regard occidental posé sur l’Autre. Dans ce théâtre de la cruauté aux allures de cauchemar, elle affirme une fois encore sa singularité dans le paysage chorégraphique contemporain. NÔT ne raconte pas les Mille et Une Nuits, il en prolonge la nuit incertaine, dérangeante.
Avec NÔT, Marlene Monteiro Freitas défie les attentes et embrasse parfois l’excès jusqu’à la rupture. Si le voyage peut dérouter, il affirme une vision singulière et laisse une empreinte persistante et âpre.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Applaudissements après lla représentation du 6 juillet 2025, cour du Palais des Papes, Festival d'Avignon 2025
NÔT
Chorégraphie Marlene Monteiro Freitas
Avec Marie Albert, Joãozinho da Costa, Miguel Filipe, Ben Green, Henri « Cookie » Lesguillier, Tomás Moital, Rui Paixão, Mariana Tembe
Chorégraphie Marlene Monteiro Freitas
Assistanat chorégraphique Francisco Rolo
Conseil artistique João Figueira, Martin Valdés-Stauber
Scénographie Yannick Fouassier, Marlene Monteiro Freitas.
Lumières et direction technique Yannick Fouassier
Costumes Marlene Monteiro Freitas, Marisa Escaleira.
Son Rui Antunes
Régie générale Ana Luísa Novais
Accessoire scénique spécial Cláudio Silva
Stagiaire scénographie Emma Ait-Kaci
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