Critique Neandertal

mise en scène David Geselson

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Critique Néandertal

Dans sa nouvelle création, Neandertal, présentée lors de la 77e édition du Festival d’Avignon, David Geselson interroge les origines de l’homme. A partir des travaux du Prix Nobel suédois, Svante Pääbo, le metteur en scène bâtit un spectacle abouti et sensible dans lequel la petite histoire se mêle ou se heurte à la grande. Une réussite.

Découvrez l’interview exclusive de David Geselson accordée à M La Scène.

De quoi sommes-nous fait ?

De l’infiniment petit, à l’infiniment grand. Il faut parfois peu de chose pour passer de l’un à l’autre. Avant que le spectacle ne commence, chaque spectateur se voit remettre une petite pierre noire. Nous saurons un peu plus tard qu’il s’agit d’un morceau de météorite. Deux personnages, deux scientifiques ( Laure Mathis et David Geselson) participant au Symposium de Biologie moléculaire de l’Université de Berkeley de 1986, viennent en avant-scène et expliquent la fabuleuse découverte que fut l’ADN.

En 1953, une équipe formée du biologiste américain James Watson et du physicien britannique Francis Crick, publiait un article. Il démontrait que la structure de l’ADN était à double hélice. Cette découverte, fondée notamment sur les travaux d’observation de Maurice Wilkins et de Rosalind Franklin, bouleversa l’histoire de la génétique. Les résultats signifiaient qu’il était désormais possible pour les scientifiques d’expliquer comment se faisait la transmission de l’information génétique pour la matière vivante.  Le prix Nobel de physiologie et de médecine récompensa leur découverte, en 1962. Depuis, la biologie a continué à avancer.

Tout récemment, des éléments constitutifs de l’ADN ont été identifiés dans des échantillons de météorite. Ce que le public tient dans sa main, cette petite pierre noire presque insignifiante, est en fait une merveille. Elle contient de l’ADN, des acides aminés, des éclats de lumière, tous les composés qui ont contribué à la formation de la vie sur Terre.

Reste la question qui sous-tend le titre du spectacle, Neandertal. Pourrait-on extraire et déchiffrer des fragments d’ADN ancien pour comprendre ce qui a fait de nous des homo sapiens, qui a fait de nous ce que nous sommes ?

La recherche du père

Dans Neandertal, à cette recherche sur les origines se mêle en creux un questionnement sur la paternité. Ainsi que le précise David Geselson, il se trouve que le Prix Nobel Svante Pääbo, a été plus ou moins abandonné par son père à la naissance. « Nous, on se sert de ça. On augmente la réalité. Dans la fiction qu’on construit, on raconte l’histoire d’un homme qui est complètement abandonné par son père. Qui passe sa vie à chercher qui est le père. Le sien et celui d’Adam et Eve. Il n’y a probablement pas d’Adam et Eve. Mais on peut rêver qu’il y ait un premier sapiens et une première sapiens » . Se pose alors une question passionnante : Qui étaient leurs parents ?

Les personnages, tous des scientifiques, se lancent à corps perdus dans cette recherche. Prisonniers d’histoires personnelles complexes, ils sont parfois eux-mêmes amenés à se poser la question du lien avec leur propre enfant. Qu’il soit génétique ou biologique, ces hommes ou femmes interrogent le lien intime qu’ils ont avec les origines. Père de ? Enfant de ?  La matière du questionnement irrigue tout le spectacle. Les comédiens (David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël, Dirk Roofthooft, accompagnés de Jérémie Arcache au violoncelle) portent avec justesse et engagement, les mots de l’auteur. L’aisance est telle qu’elle donne parfois l’impression de dialogues pris sur le vif de la situation.

Les orphelins

Fidèle à son travail qui place le théâtre au cœur des enjeux humains et politiques qui agitent le monde, David Geselson projette sur scène des images d’archives. Pas  n’importe lesquelles. Celles qui ont accompagné le processus de Paix en Israël. Des extraits de discours de Clinton, d’Arafat et deRabin envahissent l’écran. La vidéo puissante se clôt sur des images de l’assassinat du premier ministre israélien, Yitzhak Rabin et sur le visage d’un enfant dans les bras de son père. En pleurs, le jeune garçon témoin de la catastrophe sanglote « Je veux rentrer à la maison » . La Nation est désormais orpheline d’un homme qui construisait la paix.

Pour David Geselson, « cette histoire-là est en même temps spécifique et emblématique de la question de la lutte pour le territoire. Encore aujourd’hui en Ukraine.(…) Les Sapiens ont de tout temps légitimé leur présence sur un territoire, ou non, de différents types de mythes. Dans notre génome, il y a des traces de là où on vient. (…) Je trouvais intéressant de montrer comment quelqu’un qui fait de la science, en l’occurrence de la génétique ancienne, est mû par une question intime et du coup, cette question intime a des répercussions sur son projet scientifique et sur la géopolitique ». 

Parce que Yitzhak Rabin a été assassiné, l’un des personnages, une scientifique d’origine juive, qui s’était décidé à accepter une poste en Israël, renonce à s’y rendre. Sa  trajectoire intime et scientifique s’en trouve déviée. Parce qu’une biologiste part chercher en Ex-Yougoslavie, des os appartenant aux hommes de Neandertal pour en extraire l’ADN, elle trouve l’amour et participe à l’identification des corps des hommes massacrés et démembrés par les forces serbes, en 1995.

 

Neandertal de David Geselson  traite avec finesse et intelligence de questions profondes qui touchent à la naissance des origines et à ce qui fonde l’humanité.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Après le spectacle... les interviews de M La scène : David Geselson

Néandertal

mise en scène David Geselson

du 28 fév au 11 mar. 2024

 

 

Avec David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël, Dirk Roofthooft
et Jérémie Arcache (violoncelle), Marine Dillard (dessins)
Texte et mise en scène David Geselson
Scénographie Lisa Navarro
Lumière Jérémie Papin
Vidéo Jérémie Scheidler
Son Loïc Le Roux
Musique Jérémie Arcache
Costumes Benjamin Moreau
Assistanat à la mise en scène Aurélien Hamard-Padis, Jade Maignan
Collaboration à la scénographie Margaux Nessi, Collaboration à la lumière Rosemonde Arrambourg
Intégration et conception de régie Jérémie Gaston-Raoul
Collaboration au son Orane Duclos  Collaboration aux costumes Florence Demingeon Collaboration dramaturgique Quentin Rioual
Regard extérieur Juliette Navis


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Spectacle créé et vu au Festival d’Avignon 2023

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