Critique L’Hôtel du Libre-Échange
Mise en scène Stanislas Nordey

Après avoir créé La Puce à l’oreille en 2003, Stanislas Nordey revient à Feydeau et monte L’Hôtel du Libre-Échange en le débarrassant à nouveau de son esthétique de la fin du XIXe siècle. Malgré quelques trouvailles savoureuses, la mécanique comique peine parfois à se déployer entièrement.
L’Hôtel du Libre-Enjeu
Vaudeville culte signé Georges Feydeau et Maurice Desvallières, L’Hôtel du Libre-Échange embarque le public dans un tourbillon de rires et de situations rocambolesques. Deux couples bourgeois, des tensions conjugales, un rendez-vous secret dans un hôtel promis à la discrétion… et voilà que tout dégénère ! Entre un entrepreneur volage, une épouse en quête de passion, un mari en mission, une bonne curieuse, un neveu intrusif et un ami de province débarquant avec ses quatre filles, le petit hôtel se transforme en champ de bataille comique.
Comme il l’avait déjà fait en montant La Puce à l’oreille, Stanislas Nordey bouscule une nouvelle fois les codes bien établis du vaudeville, en optant pour une mise en scène résolument minimaliste et conceptuelle. Fidèle à sa volonté de renouveler le regard du spectateur, il fait disparaître les éléments emblématiques du genre : exit le mobilier bourgeois, les portes qui claquent, les escaliers en trompe-l’œil, les décors surchargés et les jeux d’ombre servant traditionnellement à masquer les entrées et sorties précipitées, moteurs des quiproquos et des situations burlesques.
Stanislas Nordey choisit au contraire de dépouiller la scène de tout artifice superflu, allant jusqu’à neutraliser l’espace scénique pour en faire un lieu abstrait. Le texte et le jeu des acteurs prennent le pas sur toute autre forme de distraction visuelle. Ce refus d’un réalisme appuyé ou d’un ancrage historique précis permet à l’œuvre de se concentrer sur les mécaniques du langage, plutôt que sur les conventions spectaculaires du théâtre de boulevard, au détriment parfois d’une rapidité dans le rythme..
Une scénographie de la contrainte
La scénographie d’Emmanuel Clolus reprend l’idée qui était déjà présente dans La Puce à l’oreille. Trois panneaux blancs enserrent le plateau. Sur les murs, la boite immaculée accueille les didascalies de Feydeau, qui précèdent l’Acte I : « Au fond, en plein milieu, devant la baie vitrée et à une distance suffisante pour permettre de passer, une grande planche en bois blanc, formant table, sur tréteaux. Sur cette table, des papiers, des lavis, une règle et une équerre double en forme de T, des plumes, des crayons, tout ce qu’il faut enfin pour dresser des plans, et un Bottin. » Écrites, noir sur blanc, ces indications scéniques, généralement reléguées dans l’ombre du texte, deviennent ici un élément central du dispositif.
En les rendant visibles, Stanislas Nordey en souligne la force prescriptive. Leur présence rappelle implicitement combien les indications de l’auteur participent à la mécanique du comique. Elles suppléent également à l’épure du décor, réduit aux éléments essentiels au jeu. Une table d’architecte qui se transforme en miroir, une chaise, une fenêtre en hauteur, un escabeau roulant dissimulé sous un linge blanc, constituent ainsi les composantes du décor de l’Acte I. Cette scénographie de l’épure et de la contrainte offre cependant un basculement à l’Acte II.
Mon truc en plumes
Un numéro de cabaret fait liaison entre les deux premiers actes. Il annonce la scène qui va prendre place à L‘Hôtel du Libre-Echange. Raoul Fernandez, travesti, tout de blanc vêtu, plumes dans le dos, à l’instar d’un meneur de revue, interprète en play-back « Fly me to the moon » , tout en effectuant quelques pas de danse. Le décor change et laisse apparaître alors l’image d’une tête d’autruche gigantesque sur fond rose. Les deux grands panneaux, qui la constituent, s’ouvrent et dévoilent l’intérieur de l’hôtel borgne. C’est dans cet univers où le rouge et le rose prédominent que vont apparaître de drôles de clients.
Chacun d’eux, en toute discrétion, doit rester incognito. Le déguisement est de rigueur. Les costumes créés par Raoul Fernandez font mouche. Ils propulsent la scène dans un univers décalé et burlesque. Tous ceux, qui entrent à l’hôtel pour la nuit, ressemblent à des autruchons duveteux. Leurs petites têtes émergent d’un corps volumineux en plumes blanches. Perchés sur des chaussures claires à talons, hommes et femmes, jambes nues, ressemblent à ces grands oiseaux exotiques. Trouvaille habile qui renvoie à la culture populaire. Si les autruches courent vite, ne dit-on pas qu’elles se cachent dès qu’elles sont effrayées ? Or, au sein de l’hôtel, la cavalcade, et la peur d’être reconnu, sont de mise.
Tous les acteurs se prêtent volontiers au jeu, qui manque cependant parfois de rythme dans les actes I et III. Sans micro, la tentation de pousser la voix nue existe également. D’autant, que l’accent a été clairement mis sur les onomatopées qui s’apparentent parfois à des cris. Claude Duparfait, grâce à la finesse de son jeu, permet néanmoins au personnage de Paillardin d’évoluer au fil de la pièce. Le naïf, un peu benêt, acquiert une humanité touchante face à l’injustice. Les rapports de la domestique (Anaïs Muller) avec sa maîtresse (Hélène Alexandridis) créent des moments savoureux. Traités à la Ionesco, ils déclenchent souvent le rire.
Avec cette relecture dépouillée et décalée de L’Hôtel du Libre-Échange, Stanislas Nordey renouvelle le vaudeville en misant sur le verbe et le jeu, au détriment du rythme parfois. Un Feydeau surprenant, entre rigueur formelle et fantaisie visuelle.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
L’Hôtel du Libre-Échange
de Georges Feydeau
mise en scène Stanislas Nordey
6 mai – 13 juin
avec Hélène Alexandridis, Alexandra Blajovici, Cyril Bothorel, Marie Cariès, Claude Duparfait, Olivier Dupuy, Raoul Fernandez, Paul Fougère, Damien Gabriac, Anaïs Muller, Ysanis Padonou, Sarah Plume, Tatia Tsuladze, Laurent Ziserman.
collaboratrice artistique Claire Ingrid Cottenceau
scénographie Emmanuel Clolus
lumière Philippe Berthomé
costumes Raoul Fernandez
chorégraphie Loïc Touzé
musique Olivier Mellano
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