Critique Les Fausses confidences

mise en scène Alain Françon

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Les fausses confidences
© Bruno Ochoa

Après La Seconde surprise de l’amour, qu’il avait magnifiquement montée précédemment, Alain Françon revient à Marivaux. Présentées, au Théâtre des Amandiers, Les Fausses confidences éclairent encore une fois le talent du metteur en scène à rendre palpables les jeux les plus subtils qui animent et chavirent les cœurs. Découvrez l’interview exclusive d’Alain Françon accordée à M La Scène.

L’amour : le maître mot

Marivaux, dans Les Fausses Confidences, déploie avec finesse l’art de susciter l’amour à travers un jeu savamment orchestré de tromperies et de dissimulations. Fidèle à ses thèmes de prédilection, il interroge ici la frontière mouvante entre l’être et le paraître, explorant les surprises et les retournements propres aux affres du sentiment amoureux.

L’intrigue met en scène Dorante, un jeune homme de  » très bonne famille »  ruiné, qui, avec l’aide de son ancien valet Dubois, cherche à conquérir le cœur d’Araminte, une riche veuve. Devenu l’intendant de sa maison grâce à un stratagème, Dorante voit Dubois manipuler les sentiments d’Araminte à son avantage. Malgré les manoeuvres et les ambitions contraires de Madame Argante, la mère d’Araminte, qui destine sa fille à un comte, l’amour finit par triompher. Dorante avoue alors la vérité à Araminte, montrant que l’artifice peut conduire à un amour sincère.

Connaître le dénouement n’est pas ce qui mobilise l’intérêt de la pièce. Dès la scène 2 de l’acte I, Dubois (Gilles Privat) établit que la fin sera heureuse : « Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera.  »  C’est donc par le pouvoir des mots, que l’amour devient maître de ses sujets, pourtant manipulés. Tout le talent d’Alain Françon réside à faire entendre cette parole vibrante qui éclate de façon désarmante. Chaque réplique devient un instant d’équilibre fragile, où l’émotion affleure.

Moderne Araminte 

Le décor conçu par Jacques Gabel s’anime lui aussi au fil de l’avancée des sentiments d’Araminte, incarnée par la lumineuse Georgia Scalliet. Des panneaux et des colonnes, dotés de moulures, dressent l’image d’un intérieur bourgeois figé. Au début de la représentation, une fenêtre aux persiennes fermées obstrue la vue. Au cours de la journée, certains murs disparaissent. Le bow-window, qui fait saillie sur la façade, offre alors une perspective sur l’extérieur. Araminte était corsetée par les conventions et sa volonté de tranquillité. Désormais, son coeur s’ouvre à l’amour.

Ainsi que l’indique Alain Françon, « le parcours essentiel est celui d’Araminte. Du coup de coeur de Dorante, on arrive à un coup de force d’Araminte. ».  En effet, cette femme indépendante, depuis la mort de son mari, gère seule ses biens. Cultivée, elle sort à Paris, apprécie les spectacles. C’est d’ailleurs à l’Opéra que Dorante (Pierre-François Garel) en la voyant a été foudroyé par l’amour. Profondément moderne et libre, au point de faire scandale à l’époque, Araminte choisit le parti d’un homme, qu’elle ne connaît que depuis le matin, son intendant. Par amour, ne suivant que sa volonté et ses sentiments, elle s’oppose à sa mère (formidablement interprétée par Dominique Valadié) et n’hésite pas à se déclasser.

La mise en scène d’Alain Françon met en exergue ce personnage féminin. Avec subtilité, il en restitue le romanesque et la modernité. Dans sa longue robe crème à l’élégance parfaite, Georgia Scalliet apparaît comme le centre des manipulations, mais, parallèlement, c’est elle qui impose ses choix. Ainsi, dans les dernières scènes, Araminte, en avant-scène, face public, collée à Dorante, dans un corps à corps verbal et comique, traque l’aveu tant attendu. C’est elle également qui est à l’initiative du contact charnel qui scellera sa confession. Elle enjambe un banc pour se jeter dans les bras de son amant qui en demeure surpris. 

Les Fausses Confidences : le rythme et le regard 

La mise en scène d’Alain Françon éblouit notamment car l’approche se concentre sur la musicalité unique du texte de Marivaux. Celui-ci devient une partition vivante. Chaque mot, chaque phrase, semble avoir été minutieusement travaillé pour révéler sa résonance et son impact rythmique, mettant en lumière une recherche d’une précision orchestrale.

Ainsi que le metteur en scène le précise, le rythme pour lui est « essentiel » .  « Une fois passées très vite, les significations que l’on peut échanger avec les acteurs et se mettre d’accord sur le sens. Après, c’est un problème de rythme. En s’appuyant sur la ponctuation, sur les attaques, sur les finales, sur les longues, les brèves. Voir si les rythmes sont binaires , ternaires, quelle cadence mineure, majeure. Tout un travail prosodique.  »  Les subtilités de l’interprétation se détachent alors totalement de toute tentative d’explication psychologique. Le texte de Marivaux se fait entendre avec une clarté et une dynamique sidérantes.

Le positionnement du regard des acteurs s’écarte également des conventions habituelles. Dans les dialogues, très souvent, les comédiens ne se regardent pas. Face public, ils ne cherchent pas l’accroche facile, leur vision semble au-delà. Alain Françon le revendique : « Quand les acteurs jouent la situation face à face, il y a toujours un tiers exclu, et ce tiers exclu, c’est le spectateur. Il ne s’agit pas de jouer de face, ce n’est pas le problème. Il s’agit de trouver une alternance juste, entre le vis-à vis-normal et de temps en temps, s’en échapper. »  Exposés ainsi, les visages et les corps en action sur le plateau, révèlent, illustrent ou trahissent magnifiquement l’émotion à la vue de tous.

 

Avec Les Fausses Confidences, Alain Françon sublime à nouveau Marivaux. Sa mise en scène, telle une partition subtile, se fraye un chemin au plus près des êtres et de leurs émotions.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

 

Les Fausses Confidences

23 novembre — 21 décembre 2024

de Marivaux
Mise en scène Alain Françon

Avec Pierre-François Garel, Guillaume Lévêque, Gilles Privat, Yasmina Remil, Séraphin Rousseau, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet, Maxime Terlin, Dominique Valadié

Assistante à la mise en scène Marion Lévêque

Décor Jacques Gabel

Lumières Joël Hourbeigt, Thomas Marchalot

Costumes Pétronille Salomé

Musique Marie-Jeanne Séréro

Coiffures maquillage Judith Scotto

Conseil chorégraphique Caroline Marcadé

Assistante costumes Charlotte Le Gal

Musiciens Floriane Bonanni, Renaud Guieu, Quentin Lupink

Régie générale Joseph Rolandez, régie lumière Thomas Marchalot, régie son Régis Sagot, Quentin Picot, régie habillage, coiffure, maquillage Charlotte Le Gal.


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