Critique Le Ring de Katharsy
mise en scène Alice Laloy
Au T2G, Alice Laloy présente sa dernière création Le Ring de Katharsy, une mise en chair grandeur nature d’un jeu vidéo. La prestation époustouflante des danseurs-interprètes emporte l’adhésion.
De chair et de Sims
Le Ring de Katharsis, mis en scène par Alice Laloy, prend l’apparence d’un jeu vidéo de simulation. Le décor se découvre dès l’installation des spectateurs. Deux écrans sur le mur du fond délivrent en boucle un message en lettres blanches : « Le ring de Katharsis vous souhaite la bienvenue » . Une large structure métallique légèrement surélevée occupe presque tout le plateau. Un néon central éclaire par le haut ce qui pourrait s’apparenter à une maquette de vaisseau spatial. Sur le sol, l’ombre des éléments d’acier et de fer qui la composent se projette. Une brume de fumée, comme le son d’un disque qui déraille, concourent à dresser les contours d’un univers inquiétant. Lorsque l’imposante structure s’élève bruyamment vers les cintres, l’étrangeté se renforce.
Des créatures hybrides, maculées de glaise, posées sur des chariots comme des poupées sans vie, sont amenées sur le plateau. Une femme (Marion Tassou) semblable à une gigantesque statue, domine la scène. Peinte de gris de la tête aux pieds, dotée d’un micro, la maîtresse du jeu, insuffle par sa respiration, l’étincelle qui anime les êtres en attente d’utilisation. Par son chant, qui ponctue chaque fin de partie, elle évoque la Diva Plavalaguna dans le film de Luc Besson, Le Cinquième élément.
Devant elle, dans une arène carrée dont le pourtour est matérialisé par deux traits de craie, six avatars s’affrontent guidés par la voix de deux gamers. Chacun d’eux dirige les trois personnages de son équipe. Assis, à cour et à jardin dans leur « chaise gaming » , ils hurlent leurs ordres. « Avance ». « Cours » . « Attrape » . « Saute » . « Saisis » . Par à-coups, les créatures malhabiles, entièrement enduites d’une pellicule grise, tentent de s’exécuter. Ils se meuvent semblablement aux « Sims » dans le jeu de simulation éponyme. Mais, ici, l’expérience in vivo remplace le virtuel. On regrettera, cependant, que la prestation des deux gamers soit trop répétitive. Les injonctions pleuvent et saturent l’espace sonore.
La performance des danseurs-interprètes
Le Ring de Katharsis est visuellement saisissant. Inspiré par l’œuvre en monochrome gris de l’artiste belge Hans Op de Beeck, sculpteur et plasticien, le vivant et l’inanimé semble se confondre. Les avatars évoluent dans un monde de cendres, uniforme, désespérément sans couleur. Ces êtres ont une apparence humaine, mais leurs yeux fixes, leurs bouches parfois ouvertes et leur gestuelle artificielle sont ceux de marionnettes sinistres.
Aux ordres des deux gamers qui éructent leurs injonctions parfois féroces, ces créatures serviles n’en apparaissent que plus pitoyables. Leurs corps se tordent, leurs muscles se crispent, pour réussir à accomplir ce qui est demandé. En mode fight, la lutte peut aller jusqu’à la mort. « Esquive » . « Frappe » « Achève » . Leurs corps alors gisent au sol comme ceux de pantins désarticulés.
La performance des danseurs-interprètes (Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz Gutierrez, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Nilda Martinez, Maxime Steffan) est époustouflante. Beaucoup sont des artistes circassiens. Ils mettent leur souplesse, la maîtrise de leur énergie et de leur force, au service de la précision du geste, et de son impact dans l’espace. Leurs déplacements paraissent réglés au millimètre.
Consommation et exploitation
Cependant, même si la chorégraphie paraît totalement écrite, l’impression que le danger rode ne quitte pas l’esprit. Car, la structure métallique qui surplombe l’aire de jeu, catapulte avec violence sur le sol des objets. En fonction du match, des vêtements, une table, des chaises, un canapé, un repose-pieds, un lampadaire, un lit, atterrissent sur le plateau, parfois tout près d’un corps inanimé. Enjeux pathétiques d’un affrontement qui génère de la violence, ces choses que les gamers convoitent, interrogent notre rapport à la possession des biens et à l’exploration des êtres qu’elle génère.
Alice Laloy évoque ainsi notre condition de consommateurs pris notamment dans les engrenages d’une société de slogans. Les écrans, avant chaque partie, l’annoncent. Des injonctions contemporaines telles que « Black Friday », « Click & Collect », ou encore « Enjoy your meat » et « Green is beautiful », transforment la scène en un miroir des absurdités du consumérisme. Ces phrases résonnent comme des mantras mécaniques qui orchestrent nos choix et nos comportements. La pièce met en lumière cette danse involontaire que nous menons entre désir et soumission, offrant une critique percutante de l’aliénation générée par la consommation de masse, les promesses illusoires qu’elle véhicule, comme l’exploitation humaine qui en découle. La révolte qui gronde à la fin est accueillie comme un soulagement. Comme l’embrasement violet qui, de façon quasi magique, inonde de vie le plateau.
En mêlant virtuosité des interprètes et puissance visuelle, Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy est une œuvre saisissante, qui confronte le spectateur à ses propres contradictions et invite à repenser notre rapport à l’autre, au vivant, et au système qui nous régit.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Le Ring de Katharsy
du 5 au 16 décembre 2024
Dans le cadre du Festival d’Automne
Conception et mise en scène : Alice Laloy
Avec : Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan et Marion Tassou.
Écriture et chorégraphie : Alice Laloy en complicité avec l’ensemble de l’équipe artistique
Assistanat et collaboration artistique : Stéphanie Farison
Collaboration chorégraphique : Stéphanie Chêne
Scénographie : Jane Joyet
Création lumière : César Godefroy
Composition musicale : Csaba Palotaï
Écriture sonique : Géraldine Foucault
Recherche et développement des accessoires et objets : Antonin Bouvret
Recherche, dessin et développement des systèmes de lâchés : Antonin Bouvret et Christian Hugel
Renfort construction : Julien Aillet et Julien Joubert
Création costumes : Alice Laloy, Maya-Lune Thieblemont et Anne Yarmola
Renfort costumes : Angélique Legrand
Création graphique et vidéo : Maud Guerche
Typographie : MisterPixel, Christophe Badani
Assistanat création vidéo : Félix Farjas, Malo Lacroix
Regard cascades : Anis Messabis
Assistante-stagiaire mise en scène : Salomé Baumgartner
Stagiaire costumes : Esther Le Bellec
Régie générale et plateau : Sylvain Liagre
en alternance avec Baptiste Douaud
Régie plateau : Léonard Martin, régie lumière en tournée : Elisa Millot, régie son en tournée : Géraldine Foucault en alternance avec Arthur Legouhy.
Confection des décors : Les Ateliers du Théâtre National de Strasbourg (TNS)
Compagnie s’Appelle reviens
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