Critique HIKU
conception Anne-Sophie Turion &Eric Minh Cuong Castaing
Hiku, la performance conçue par Anne-Sophie Turion et Eric Minh Cuong Castaing, bouscule la fascination première sur le phénomène des hikikomori, ces reclus sociaux japonais qui ne sortent plus de leur chambre. Le temps de la représentation, se fabriquent des liens qui n’avaient pas été imaginés.
English version Version japonaise
Ne plus fuir le regard
1,5 million est le chiffre avancé par gouvernement japonais. Estimation basse pour certains. 1,5 million de personnes coupées de la société, qui ne travaillent plus, qui ne peuvent aller en cours, qui restent cloitrées chez elles, personnes que l’on désigne sous le terme de hikikomori.
C’est le psychiatre japonais Tamaki Saito qui, dans son ouvrage Retrait social : une adolescence interminable, paru en 1998, utilise le premier ce mot. Composé de deux idéogrammes Hiku ( tirer vers soi) et Komori ( s’enfermer), ce terme, à l’origine, illustrait le phénomène de jeunes, dont le réclusion volontaire ayant duré plus de six mois, ne pouvait s’expliquer par un dérèglement psychiatrique. Depuis, le mot s’est démocratisé et recouvre une réalité plus vaste. Au Japon, des jeunes et des adultes se replient sur eux-mêmes, à l’écart d’un monde exigeant de réussite et empreint de possibles menaces. Un phénomène que le COVID a accentué et a même développé dans d’autres pays. .
En collaboration avec New Start Kansai, une association de la préfecture d’Osaka, accompagnant des hikikomori vers une resociabilisation, et grâce à l’un des médiateurs, Atsutoshi Takahashi, Anne-Sophie Turion et Éric Minh Cuong Castaing ont pu rentrer en contact avec trois hikikomori en voie de réinsertion. Shizuka, Mastuda et Yagi sont au coeur de Hiku. Le spectacle se revendique comme une performance. A distance, les hikikomori vont, de leurs chambres au Japon, en se saisissant d’internet et de l’outil technologique mis à leur disposition, agir et interagir sur le plateau où les spectateurs se trouvent. Pour eux, il s’agit de ne plus fuir le regard de l’autre, mais, au contraire, de le solliciter.
Une révolution intime
La scénographie imaginée par Anne-Sophie Turion et Eric Minh Cuong Castaing permet cette révolution intime. Aller vers l’autre, se montrer, s’exposer sur une scène face à un public. Le plateau est vaste, ponctué d’écrans géants qui, au début diffusent les mêmes vidéos en boucle. Le spectateur est invité à déambuler dans l’espace.
L’une des vidéos montre Atsutoshi Takahashi, un médiateur de l’association New Start Kansai, dans un appartement. De dos, il entre, et s’assoit face à une porte en papier traditionnel. Il parle doucement à la personne qui est cloitrée derrière mais le shōji reste clos. Une autre révèle, en plongée, par une caméra installée en hauteur, la vue d’une chambre, où un hikikomori, se meut, handicapé par son obésité. Un travelling latéral expose ensuite la vue d’une jeune fille à bicyclette. Un casque sur les oreilles, elle longue un pont, dans la nuit, sur un vélo lumineux et scintillant. Dans un autre intérieur saturé d’inscriptions accrochées au mur, un jeune homme écrit. La dernière permet de découvrir un homme d’âge mûr, un ancien hikikomori, au sein d’une nature verdoyante. Seul, il agite un grand drapeau blanc aux idéogrammes noirs dans le vent.
La deuxième partie du spectacle bouleverse la promenade tranquille des spectateurs. Des robots entrent en scène. Chacun est manipulé par Shizuka, Mastuda et Yagi, les trois hikikomori en voie de resociabilisation, de chez eux, au Japon. Leur visage apparait sur l’écran de leur avatar robotique en action. Les engins contrôlés à distance fendent la foule, l’obligent à se mouvoir pour l’éviter ou pour s’en rapprocher. L’interaction se poursuit par la parole, grâce notamment au travail remarquable de Yuika Hokama, qui traduit en direct, ce qui est dit au Japon, comme ce qui est dit sur scène. Shizuka, Mastuda et Yagi invitent le public à leur poser des questions par écrans interposés. Même si cette partie est un peu longue et manque alors de dynamisme, la démarche est intéressante.
La performance Hiku conçue par Anne-Sophie Turion et Eric Minh Cuong Castaing, lauréats du Groupe des 20 Théâtres d’Ile-de-France, porte haut l’espérance des hikikomori à tisser des liens par-delà la souffrance et l’isolement.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
représentation d'Hiku à la Maison de la culture du Japon à paris, le 19 octobre 2023
HIKU
Maison du Japon Paris
dans le cadre du Festival d’Automne 2023
Hiku, lauréat du groupe des 20, sera les 17 et 18 novembre au Théâtre de Châtillon dans le cadre du festival OVNI.
Performance, cinéma
Conception, Anne-Sophie Turion et Eric Minh Cuong Castaing – Lauréats 2020 de la Villa Kujoyama
Performance et traduction live, Yuika Hokama
Performance en téléprésence, Shizuka Fujii, Ippei Mastuda, Tomohiro Yagi
Collaboration au Japon, médiation, co-organisation de la manifestation, Atsutoshi Takahashi et l’association New start Kansai
Accompagnement dramaturgique, Marine Relinger, Élise Simonet
Regard extérieur : Youness Anzane
Scénographie, Pia de Compiègne, Anne-Sophie Turion
Dessins : Yoshiyuki Ogawa
Création sonore, Renaud Bajeux Création lumière, Vera Martins
Régie générale : Virgile Capello Régie adjointe : Magalie Sfedj
Intervention régie vidéo : Renaud Vercey
Chef opérateur, Victor Zebo
Assistanat deuxième tournage, Yuya Morimoto
Cadreur camera premier tournage, Yuji Suzuki
Traduction au Japon, Thomas Poujade, Tadashi Sugihara, Naoko Tanabe, Thomas Poujade
Montage, Lucie Brux
Création au festival Actoral en automne 2023, au KLAP, Marseille
HIKU
a été conçu dans le cadre d’une résidence à la Villa Kujoyama, avec le soutien de l‘Institut français et l‘Institut fançais du Japon et la Fondation Bettencourt Schueller
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